JERUSALEM : Israël se targue d'être la nation de l'innovation. Mais les allégations de cyberespionnage de journalistes et d'opposants dans le monde via un logiciel exporté par la société locale NSO avec le feu vert du gouvernement révèlent l'envers de la diplomatie technologique.
Créée en 2010 par Shalev Hulio et Omri Lavie et établie à Herzliya, au nord de Tel-Aviv, la société privée NSO a l'habitude d'être la cible de critiques pour son logiciel espion Pegasus, qui permet non seulement d'accéder aux données d'un smartphone, mais de prendre le contrôle de la caméra ou du micro.
Or en Israël, ce logiciel est considéré comme une véritable "arme". Et comme pour la vente des armes, NSO doit obtenir l'autorisation du ministère de la Défense pour vendre aux services secrets de pays étrangers une licence du logiciel.
NSO a rejeté, dans un communiqué, des "accusations frauduleuses" et affirmé n'œuvrer "qu'à sauver des vies en empêchant des crimes et des actes de terreur".
"Nous n'avons reçu jusqu'à aujourd'hui aucun élément de preuve qu'une personne sur cette liste a été vraiment visée par le système Pegasus", a déclaré lundi à la radio israélienne un porte-parole du groupe, Oded Hershkovitz.
Dans son premier rapport annuel sur sa politique de "Transparence et Responsabilité", publié fin juin et visant à "prévenir" des "abus" de sa technologie par ses clients étrangers, NSO affirme avoir décliné l'équivalent de 300 millions de dollars en contrats potentiels en raison de ses normes éthiques.
"La grande question pour moi est de savoir si NSO connaît l'identité des personnes ciblées", a dit à l'AFP May Brooks-Kempler, experte israélienne en cybersécurité.
"Nous devrions être plus conscients des clients de cette technologie et ne pas la vendre à des régimes qui vont peut-être l'utiliser pour espionner leur population et des opposants. C'est donc au bout du compte un problème principalement pour le ministère de la Défense", qui donne le feu vert à l'exportation, selon elle.
Contacté par l'AFP, le ministère de la Défense a indiqué "ne pas avoir accès aux informations récoltées par les clients de NSO", mais a soutenu que des mesures "appropriées" étaient mises en œuvre si des clients de ces logiciels violaient la licence d'exploitation.
En Israël, des centaines d'entreprises travaillent dans le secteur de la cybersécurité, dont un certain nombre à des technologies offensives, c'est-à-dire permettant d'infiltrer les systèmes.
En 2019, le directeur à l'époque de l'Autorité israélienne de l'Innovation, organisme public chargé de soutenir l'essor des technologies locales, Aharon Aharon, a déclaré à l'AFP: "dans l'usage des technologies, il y a une part bonne et il peut y avoir une part plus sombre, je pense que NSO s'appuie, dans une certaine mesure, sur ce côté obscur".
"Israël est un incubateur pour des technologies répressives", a affirmé à l'AFP Jonathan Klinger, avocat spécialisé dans le droit informatique. "C'est un modèle d'affaires malheureux (...) mais ce n'est pas illégal."
Pour lui, la tâche incombe au gouvernement de limiter les ventes de Pegasus à des régimes autoritaires.
Mais ces dernières années, la technologie s'est imposée comme un outil diplomatique de choix pour Israël dans le marché de l'agrotechnologie, mais aussi des drones, des systèmes de missiles et de l'intelligence artificielle. Ce qui favorise le développement de relations avec certains pays.