LE CAIRE: Dimanche, les autorités égyptiennes ont relâché trois militants et trois journalistes après des mois de détention provisoire, ont annoncé des responsables et des avocats. Ces libérations sont intervenues après que des responsables américains, entre autres, se soient déclarés préoccupés par les arrestations et l’intimidation de défenseurs des droits humains et de critiques du gouvernement du président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi.
Les procureurs de la sûreté de l'État ont ordonné la remise en liberté dans six cas en cours d’investigation, selon deux responsables judiciaires qui se sont exprimés sous couvert d'anonymat, n'étant pas autorisés à s’adresser aux médias.
Les accusations sont nombreuses, allant de la diffusion de fausses nouvelles et de l'utilisation abusive de plates-formes des réseaux sociaux à l'adhésion à un groupe terroriste, une référence aux Frères musulmans, considérés comme tel par l'Égypte depuis 2013.
Malgré leur longue détention, les personnes arrêtées et relâchées n'ont toujours pas été jugées, selon leurs avocats.
Esraa Abdel-Fattah, militante et blogueuse en faveur de la démocratie, a été libérée dimanche matin, a écrit sa sœur Shimaa dans un post sur Facebook. Elle a été l’une des fondatrices du «Mouvement du 6 avril», qui a joué un rôle crucial dans le soulèvement de 2011 en faveur de la démocratie, qui avait renversé l'autocrate longtemps au pouvoir, Hosni Moubarak.
Abdel-Fattah a été arrêtée en octobre 2019 dans une ville à l'ouest du Caire, lors d'une répression qui a suivi des manifestations antigouvernementales. Des centaines de personnes avaient alors été arrêtées, mais un grand nombre d’entre elles avaient ensuite été relâchées.
La célèbre avocate des droits humains, Mahienour al-Masri, a également été libérée dimanche, a écrit sa sœur Maysoun al-Masri dans un article sur Facebook, accompagné d’une photo de l'avocate portant un masque, ainsi que l’uniforme blanc des personnes emprisonnées.
Al-Masri, qui est largement connue pour son activisme dans les mouvements ouvriers, et qui est impliquée auprès des réfugiés syriens et palestiniens vivant en Égypte, avait été arrêtée en septembre 2019 durant la répression qui avait suivi une manifestation.
Les autorités ont également libéré le journaliste Gamal el-Gamal, a précisé l'avocat des droits humains Nasser Amin. El-Gamal, largement connu pour ses chroniques critiques à l'égard du gouvernement d'Al-Sissi, a été arrêté cette année, à son arrivée à l'aéroport international du Caire en provenance de Turquie, où il vivait depuis 2017.
Parmi les personnes libérées dimanche figuraient également les journalistes Moustafa el-Aasar et Moataz Wadnan, qui étaient en détention provisoire depuis 2018, selon l'avocat des droits humains Malek Adly.
Abdel-Nasser Ismaïl, chef adjoint du Parti de l'Alliance populaire socialiste, a également été libéré après près de deux ans de détention provisoire.
Les libérations sont intervenues à la suite d’appels de parlementaires et de personnalités connues visant à libérer les militants et les défenseurs des droits humains détenus ces dernières années pour ce qu'ils considèrent comme des accusations fondées sur des considérations politiques.
La semaine dernière, le déferrement en justice d’Houssam Bahgat, un journaliste d'investigation égyptien de premier plan et défenseur des droits humains, avait causé un tollé, suscitant l’indignation des défenseurs des droits humains. Bahgat a déclaré qu'il était accusé d'avoir insulté l'autorité électorale égyptienne, diffusé de fausses nouvelles sur la dénonciation d’une fraude électorale, et d’avoir utilisé les réseaux sociaux pour commettre des délits.
Les accusations reposent à l’origine sur un tweet que Bahgat a écrit l'année dernière, accusant le président de l'autorité électorale d'une mauvaise coordination du vote parlementaire de l'année dernière, a expliqué le journaliste.
Le porte-parole du département d'État américain, Ned Price, a condamné l'inculpation de Bahgat, ainsi que la détention et l’intimidation de leaders de la société civile égyptienne, d'universitaires et de journalistes, sous Al-Sissi.
«Nous avons fait part au gouvernement égyptien de notre ferme conviction que des personnes telles que Houssam Bahgat ne devraient pas être visées pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions», a déclaré Price la semaine dernière. «En tant que partenaire stratégique, nous avons fait part de ces préoccupations au gouvernement égyptien, et nous continuerons de le faire à l'avenir.»
La semaine dernière, s’était ouvert le procès de six militants et journalistes laïcs, dont l'ancien parlementaire Zyad el-Elaimy, a déclaré l'avocat des droits humains Khalid Ali. Les six personnes, qui ont été arrêtées en 2019, font l’objet de nombreuses accusations, notamment de troubles à l'ordre public avec la diffusion de fausses informations sur les affaires intérieures. La prochaine audience du tribunal aura lieu le 29 juillet, a précisé Ali.
El-Elaimy, ainsi que d'autres personnes, ont été ajoutés par un tribunal l'année dernière à une liste de terroristes présumés, pour les cinq prochaines années. La décision a été confirmée la semaine dernière par la Cour de cassation, la plus haute juridiction d'Égypte en matière pénale. Parmi les six personnes incarcérées se trouvait le militant palestino-égyptien Rami Shaath, qui a aidé à établir la branche égyptienne du mouvement de boycott organisé par les Palestiniens contre Israël, connu sous le nom de BDS.
Shaath, fils d'un ancien ministre palestinien des Affaires étrangères, a été arrêté en 2019, mais n'a pas été inculpé. Sa femme, de nationalité française, a été expulsée du pays.
Le gouvernement égyptien a mené ces dernières années une répression à grande échelle contre la dissidence, emprisonnant des milliers de personnes, principalement des islamistes, mais aussi des militants laïcs impliqués dans le soulèvement du Printemps arabe de 2011 qui a renversé l’ancien président Hosni Moubarak.
Des journalistes ont également été pris pour cible, des dizaines d'entre eux ayant été emprisonnés et certains expulsés. L'Égypte reste l'un des pays au monde emprisonnant le plus de journalistes, avec la Turquie et la Chine, selon le Comité pour la protection des journalistes.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com