TACHKENT: Le retrait précipité des États-Unis d’Afghanistan a déstabilisé la région, et a aggravé la menace terroriste, a déclaré Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, lors d’une conférence qui a réuni vendredi les grandes puissances et les pays voisins de l’Afghanistan.
Les participants cherchent un terrain d’entente pour mettre fin à la violence croissante au sein du pays.
Réunis à Tachkent, la capitale de l’Ouzbékistan, ils ont échangé critiques acerbes et accusations pour dénoncer la détérioration rapide de la situation en Afghanistan. Les Talibans ont élargi leur influence au cours des dernières semaines. Ils ont intensifié leurs offensives contre l’armée et les forces de sécurité afghanes défaillantes, prenant le contrôle de dizaines de districts et de régions frontalières clés, à mesure que les États-Unis et l’Otan se retirent définitivement du pays.
La conférence avait pour objectif initial de discuter de la mise en place de meilleures infrastructures de transport à travers l’Asie centrale et du Sud, mais la progression des Talibans a chamboulé l’ordre des priorités.
Tous les participants – notamment les États-Unis, la Russie, et de nombreux voisins de l’Afghanistan – ont une part de responsabilité dans le conflit afghan. Ceux qui sont en faveur d’une prise de contrôle totale du pays par les Talibans sont peu nombreux, mais la conférence a montré qu’il était difficile pour les pays de se mettre d’accord sur un règlement pacifique du conflit.
«Nous avons malheureusement assisté à une dégradation rapide de la situation en Afghanistan au cours des derniers jours», a déclaré Lavrov au cours de la conférence, insistant sur «un retrait précipité des États-Unis et de l’Otan».
«En Afghanistan, la crise a exacerbé la menace terroriste, et le trafic illicite de drogues a atteint un niveau record», a-t-il précisé. «L’instabilité risque fort de s’étendre aux pays voisins.»
Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, a tourné en dérision l’appel lancé par le responsable de la politique étrangère de l’Union européenne (UE), Josep Borrell, à un effort collectif pour régler le conflit en Afghanistan de manière pacifique. «D’abord, ils créent le problème, puis recherchent les coupables, avant d’appeler au déploiement d’efforts collectifs», a-t-elle écrit sur une application de messagerie.
Ces dernières semaines, les Talibans ont remporté des dizaines de victoires, s’emparant de postes frontaliers clés avec l’Iran, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Pakistan. Les insurgés affirment qu’ils n’aspirent pas à une victoire militaire absolue contre le gouvernement afghan, mais les efforts de paix sont dans l’impasse depuis trop longtemps déjà. Sans accord, le pays risque une guerre civile entre les différentes factions armées.
Le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, a pris la parole lors de la conférence. Il a soutenu que son pays était en faveur d’un règlement de conflit. Il a souligné que les décennies de guerre en Afghanistan ont poussé le Pakistan à héberger plus de deux millions de réfugiés. Le pays ne pourrait gérer une éventuelle nouvelle vague si la violence s’intensifiait.
«Nous nous opposerons toujours à une solution militaire en Afghanistan», aurait déclaré Khan, selon l’agence de presse russe RIA Novosti. Il a également rejeté les allégations selon lesquelles le soutien du Pakistan aux Talibans était «extrêmement injuste», assurant que «le Pakistan a fourni plus d’efforts que tous les autres pays pour les mettre au centre des négociations».
À son tour, le président afghan, Achraf Ghani, a pris la parole, accusant le Pakistan d’attiser la violence dans le pays. Il a affirmé que plus de 10 000 «combattants djihadistes en provenance du Pakistan et d’autres pays» étaient venus en Afghanistan en juillet, sans pour autant fournir de preuves.
Les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan sont rongées par des soupçons de longue date. Kaboul accuse sans cesse Islamabad d’offrir l’asile aux Talibans, et de traiter les blessures des insurgés dans des hôpitaux au Pakistan. Vendredi, dans la ville frontalière de Chaman, au sud-ouest du Pakistan, des Talibans afghans auraient été soignés pour des blessures subies lors d’affrontements avec l’armée et les forces de sécurité afghanes de l’autre côté de la frontière, à Spin Boldak, en Afghanistan. Les Talibans ont pris d’assaut la ville frontalière cette semaine, et les forces afghanes ont mené une contre-attaque pour en reprendre le contrôle.
Le Pakistan a également accusé l’Afghanistan d’abriter des Talibans pakistanais, mieux connus sous le nom de Tehrik-e-Taliban. Ces derniers ont multiplié les attaques au Pakistan, tuant plusieurs militaires par semaine au cours des derniers mois.
Le département de Sécurité intérieure des États-Unis était représenté à la conférence, tout comme Zalmay Khalilzad, l’émissaire américain pour la paix en Afghanistan, qui a fait pression pour un accord de paix et un cessez-le-feu.
Vendredi, une délégation de hauts fonctionnaires du gouvernement afghan s’est rendue au Qatar pour rencontrer des dirigeants talibans, dont le bureau politique se trouve à Doha, la capitale. La réunion a été dirigée par Abdallah Abdallah, président du Haut conseil pour la réconciliation nationale. Jamais une délégation d’aussi haut niveau n’avait encore rencontré les Talibans auparavant.
Les pays d’Asie centrale, la Russie et les États-Unis ont tous fait part de intention de voir émerger un Afghanistan pacifique où les Talibans collaborent avec les forces de sécurité afghanes pour lutter contre des groupes militants comme Daech et le mouvement islamique d’Ouzbékistan. Dans certaines régions de l’Afghanistan, les Talibans ont combattu Daech par moments, réussissant ainsi à l’affaiblir.
Les troupes américaines devraient définitivement se retirer d’Afghanistan d’ici au 31 août. Les États-Unis cherchent ainsi à renforcer leurs services de renseignement, et leur capacité à lutter contre les menaces terroristes dans la région.
Les cinq États d’Asie centrale se sont entretenus jeudi avec Elizabeth Sherwood-Randall, adjointe de Joe Biden pour la Sécurité intérieure. L’Afghanistan a été au cœur de la discussion: il a notamment été question des moyens de coopérer en matière de sécurité régionale.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com