BRUXELLES : La Commission européenne a dévoilé mercredi son plan de bataille pour le climat, un colossal ensemble de textes baptisé "Fit for 55" ("Paré pour 55") en référence à l'objectif de l'UE de réduire ses émissions carbone de 55% d'ici 2030.
Voici les principales propositions :
Marché du carbone élargi
La Commission veut élargir l'actuel marché du carbone européen (ETS), où les entreprises de certains secteurs peuvent acheter ou s'échanger les quotas d'émissions de gaz à effet de serre auxquels ils sont soumis.
Les recettes de l'ETS seraient mieux ciblées, notamment pour financer les projets de technologies propres des entreprises --en récompensant leurs réductions d'émissions sur la base d'un prix fixe du CO2 élevé.
Ce système serait étendu dès 2023 au transport maritime pour les plus gros navires (fret ou croisière) à destination ou en partance de l'UE.
"Cela ne va pas résoudre le défi principal, le manque de carburants alternatifs", d'autant que "les navires opèrent entre les continents, ne faisant souvent que passer dans les eaux européennes", a affirmé Ukko Metsola, patron de l'association du secteur de la croisière (CLIA).
Le principe de l'ETS serait aussi appliqué au transport routier et au chauffage des bâtiments: les fournisseurs de carburants et fioul domestique devraient acheter des "droits à polluer", sur un second marché carbone opérationnel à partir de 2025.
Elus de tous bords et ONG environnementales dénoncent le renchérissement prévisible, par ricochet, de la facture des ménages les plus vulnérables (qui pourrait augmenter de quelque 40% par an, selon des estimations).
Taxe carbone, quotas gratuits
La Commission souhaite restreindre drastiquement les allocations de "permis à polluer" gratuits offerts aux entreprises de l'UE, et réduire encore plus fortement le volume de quotas en circulation chaque année, pour faire grimper mécaniquement le prix du carbone.
Bruxelles propose également de soumettre les importations dans cinq secteurs polluants (acier, aluminium, ciment, engrais, électricité) aux règles de l'ETS, en leur imposant des "certificats d'émissions" dépendant du CO2 généré par leur production et dont le coût sera calculé sur le prix du carbone dans l'UE.
Si un marché carbone existe dans leur pays d'origine, l'importateur paiera seulement la différence. Le mécanisme débuterait en 2026 et monterait en puissance sur une décennie.
En traitant à égalité importations et production locale, Bruxelles estime rester dans les clous des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et contrer les accusations de "protectionnisme". Dans un souci d'équilibre, Bruxelles réduirait progressivement entre 2026 et 2036 les quotas gratuits aux entreprises européennes des mêmes secteurs, avant leur suppression en 2036.
La fédération Europe Aluminium plaide pour le maintien durable des quotas gratuits, jugés nécessaires à leur compétitivité.
Pour le lobby sidérurgiste Eurofer, le dispositif risque d'être inefficace, des pays comme la Chine pouvant utiliser leur petite part d'énergie hydroélectrique pour exporter vers l'UE une production industrielle "propre", tout en conservant des usines alimentées au charbon pour approvisionner le reste du monde.
Fin des voitures essence et diesel
La Commission veut réduire à zéro les émissions des automobiles neuves (voitures particulières et utilitaires légers) à partir de 2035. Les véhicules électriques à batteries étant les seuls à satisfaire cette exigence, ils deviendront de facto les seuls commercialisés.
"Interdire une technologie n'est pas une solution rationnelle", a dénoncé l'Association des constructeurs européens d'automobiles (ACEA).
Bruxelles promet 1 million de points de recharge le long des routes européennes en 2025, 3,5 millions en 2030 et 16,3 millions en 2050.
Transport aérien
La Commission veut taxer dès 2023 le kérosène pour les vols à l'intérieur de l'UE. Cette taxe, augmentée progressivement sur dix ans, épargnerait jets privés et avions-cargos en raison de contraintes juridiques internationales.
Par ailleurs, les compagnies perdraient progressivement les quotas gratuits d'émissions dont elles bénéficient pour leurs vols intra-européens. Bruxelles veut également relever l'objectif d'usage de "carburants durables" (mix avec biocarburants).
"Ces surcoûts entravent nos capacités d'investissements" dans des appareils plus économes ou des technologies propres, "et peuvent alimenter les +fuites de carbone+ vers d'autres régions" qui verraient leur trafic augmenter, argumente la fédération des compagnies européennes A4E.
Le secteur redoute une "distorsion de concurrence" avec les compagnies non-européennes et agite le spectre d'avions remplissant leurs réservoirs en Turquie ou au Royaume-Uni pour contourner la taxe européenne.
Energies renouvelables
Bruxelles veut relever à 40% la part des renouvelables dans son mix énergétique en 2030, contre un objectif actuel de 32%. Les objectifs de réduction d'émissions pour les secteurs exclus de l'ETS (agriculture, déchets...) sont rehaussés pour chaque Etat.
Efficacité énergétique
L'objectif d'efficacité énergétique serait relevé: la consommation européenne d'énergie finale devra baisser d'au moins 38%" d'ici 2030, avec une obligation de baisse pour le secteur public (transports, bâtiments, déchets...).
Forêts
Bruxelles propose d'instaurer une cible européenne d'absorption de carbone via les "puits de carbone" naturels (forêts essentiellement), fixée à 310 millions de tonnes équivalent CO2 d'ici 2030, après avoir déjà appelé à planter "3 milliards d'arbres" sur la décennie.
Fonds social
Pour enrayer l'impact sur les ménages les plus modestes et contrer la précarité énergétique, Bruxelles propose l'établissement d'un "mécanisme d'action sociale pour le climat", fonds alimenté par les recettes du "second marché du carbone".