RABAT: « Je croyais rêver », avait lancé Eugène Delacroix à son arrivée à Tanger. Le célèbre peintre français a entrepris en 1832 un voyage initiatique de six mois au Maroc, retracé par une exposition hommage à Rabat, la capitale du royaume.
Sur les cimaises rouge-orange éclatantes du musée Mohammed VI de Rabat (MMVI), une trentaine de peintures, dessins, gravures, lithographies et esquisses offrent une plongée en apnée dans la période marocaine du maître du romantisme français pour l'exposition « Delacroix souvenirs d'un voyage au Maroc », du 7 juillet au 9 octobre 2021.
« Ce voyage a nourri son oeuvre et lui a donné une nouvelle dimension. A son retour, il exposera, tous les ans, des tableaux évoquant le Maroc », explique dans un entretien Claire Bessède, co-commissaire de l'exposition et directrice du musée Eugène Delacroix à Paris.
A 34 ans, le peintre de « La liberté guidant le peuple » (1830), déjà au sommet de sa carrière, accepte d'accompagner une délégation française chargée par le roi Louis-Philippe d'une mission diplomatique auprès du sultan Moulay Abderrahmane.
« Il n'avait pas de rôle politique, sa motivation était de découvrir l'Orient à travers le Maroc. C'est inédit car dans sa vie, il n'a fait que deux voyages, en Angleterre et au Maroc », rappelle Bessède.
« Vivier d’inspiration »
Durant ce séjour marocain, l'artiste emmagasine, dans plusieurs carnets, lumières, paysages, traits de visages, costumes simple ou d'apparat... Il dessine, fait des aquarelles, prend des notes puis peint à son retour à Paris et jusqu'à la fin de ses jours en 1863.
« C'est l'un des premiers ambassadeurs de la lumière du Maroc », déclare Abdelaziz El Idrissi, co-commissaire de l'exposition et directeur du MMVI de Rabat.
Tanger, sa première fenêtre sur le Maroc, le « fascine », d'après Bessède. Commence alors un voyage par la route qui le mène jusqu'à Meknès, plus au sud, où il rencontre le sultan: un moment « marquant » qu'il immortalisera dans une des toiles les plus célèbres de cette période.
Ce tableau, peint plus de dix ans après son expédition, n'a pas fait le voyage jusqu'à Rabat car il est « très fragile », signale la directrice du musée parisien.
Mais une esquisse réalisée juste après son retour est exposée au musée : cette belle pièce, où on ne discerne que des silhouettes, montre l'audience de la délégation française devant le septième souverain de la dynastie alaouite.
A défaut d'oeuvres majeures de sa période marocaine telles que « Noces juives dans le Maroc » (1839), l'exposition organisée en collaboration avec Le Louvre et le musée Delacroix donne savamment à voir une idée de l'atelier de l'artiste, avec comme point focal la question du souvenir.
En rentrant en France, Delacroix avait emporté dans ses bagages une série d'objets artisanaux en tous genres, « un véritable vivier d'inspiration qui va le suivre d'atelier en atelier jusqu'à sa mort », précise la commissaire.
« Hors du temps »
Ces objets, une soixantaine, servent de fil rouge à l'exposition : des instruments de musiques (tambourin, luth, vièle à pique), des habits (caftans, tuniques, chaussettes), des céramiques ou des armes (sabre, sacoches a poudre, cartouchière).
Une source inépuisable d'inspiration pour l'artiste disséminée dans ses différentes oeuvres orientalistes, à l'image de « Camp arabe, la nuit » (1863) où des hommes habillés en djellabas se languissent autour d'un feu, ou encore « Comédiens ou bouffons arabes » (1848), une représentation de musiciens jouant au luth, en plein air, entourés de quelques personnages.
« Les tableaux de la période marocaine sont hors du temps. Delacroix n'était pas dans une interprétation littérale du Maroc, il a forgé son propre regard sur le pays », analyse Bessède.
Ce regard singulier poussera, d'une manière ou d'une autre, des artistes européens à poser bagages au Maroc : « Il emportera avec lui la culture marocaine au-delà du sud de la Méditerranée et va ouvrir les yeux d'artistes européens sur cette destination peu habituelle à l'époque », note Idrissi.
La fin de parcours de l'exposition est d'ailleurs dédiée aux toiles marocaines de certains artistes ayant fait le voyage au royaume sur les pas de Delacroix : on retrouve une dizaine de tableaux des orientalistes français Benjamin Constant et Louis-Auguste Girardot, du Britannique Frank Brangwyn mais aussi du maître du fauvisme français, Henri Matisse.