PARIS : Rolande avait monté sa tente sur le parvis de la mairie de Paris dans la nuit de lundi à mardi, comme plus de 200 migrants : « Ici, au moins, ils vont nous voir. Ils ne peuvent pas nous rater ! », soufflait l'Ivoirienne tôt mardi matin.
Au total 218 migrants, des familles et des femmes isolées essentiellement originaires de Somalie, d'Afghanistan et de Côte d'Ivoire, ont décidé de former ce campement en plein cœur de la capitale française, dans l'espoir d'attirer l'attention des décideurs politiques.
Leur but : obtenir un toit et « quelque chose pour vivre dignement », explique Rolande qui n'a connu que la rue depuis son arrivée en France il y a trois mois, en pleine crise sanitaire.
« Être ici, c'est un appel au secours. Je suis fatiguée de la rue. Pour une femme, c'est très dangereux. Les gens te tombent dessus, on est des cibles faciles. Si on ne nous aide pas, si on ne nous permet pas de travailler, on va rester dans ce cycle », raconte à l'AFP cette demandeuse d'asile de 36 ans en sweatshirt vert, au milieu de la centaine de tentes vite montées lundi soir, peu avant minuit, sous le regard incrédule des passants et des cyclistes.
Autour d'elle, à quelques heures de la rentrée scolaire, des enfants en bas âge hagards font le tour des tentes et des poussettes rassemblées devant l'entrée du bâtiment de style néo-renaissance.
« C'est une action symbolique : la mairie ne peut plus fermer les yeux. Ce n'est pas normal que pour les primo-arrivants, qui représentent 50% de ces personnes, la rue devienne un passage obligé en arrivant en France », s'agace Maël de Marcellus, coordinateur parisien de l'association de défense des exilés Utopia56, à l'initiative de ce campement.
« On vous chasse »
L'association, qui espère une « refonte du premier accueil », affirme alerter les autorités depuis plus d'un mois, sans réponse, sur la situation de ces 107 familles et femmes qui vivaient pour l'immense majorité dans des campements informels à la lisière de Paris.
Mardi matin, après le démantèlement rapide du camp par la préfecture de police, au cours duquel sept personnes ont été interpellées, la mairie de Paris a accueilli ces personnes dans une salle de l'Hôtel de Ville.
« Sur cette situation inacceptable, nous payons en réalité l'inaction de l'État », dénonce auprès de l'AFP Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris chargé notamment de l'hébergement d'urgence et de la protection des réfugiés.
« Nous avons interpellé les services de l'État pour trouver une solution, d'autant que la plupart de ces personnes sont demandeuses d'asile et devraient donc pouvoir bénéficier d'une certaine prise en charge », a-t-il ajouté.
« Des solutions de mise à l'abri ont été proposées », a insisté sur Twitter le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, « nous ne tolérerons aucune occupation irrégulière de l’espace public ».
Foulard rouge, veste en duvet kaki, Maryam Abdullahi, Somalienne de 36 ans arrivée en France la semaine dernière pour y demander l'asile, avec ses six enfants de 4 à 15 ans, a « besoin d'aide, de ne plus dormir dehors », après avoir « fui le terrorisme » dans son pays.
Son voisin de tente et compatriote Mohammad Abdullah, 33 ans, chapeau de prière sur la tête, a lui aussi pris « le risque » de l'exposition dans l'hypercentre parisien, car il n'a « nulle part où aller » et « une femme malade ».
« Je veux demander l'asile mais, en attendant, je n'ai rien », intervient Ouga, une Ivoirienne enceinte de 33 ans, l'allocation pour demandeurs d'asile n'étant octroyée qu'après le dépôt du dossier.
Arrivée le mois dernier en France après être passée par l'Italie, elle raconte sa traversée de la Méditerranée dans une barque de pêcheur, pendant laquelle de nombreux compagnons d'infortune ont péri, « y compris (sa) grande sœur ».
« On continue de souffrir, dans la rue. Vous vous installez quelque part, on vous chasse. On devient malade, à vivre au milieu des ordures », sanglote la jeune femme, tongs aux pieds, en rangeant dans sa tente le chariot à roulettes dans lequel elle transporte ses quelques affaires.
« Laissez-nous juste avoir où vivre », implore-t-elle.