HERAT: Les talibans ont lancé mercredi leur première offensive contre une capitale provinciale d'Afghanistan, Qala-i-Naw, depuis le début en mai de leur campagne tous azimuts contre les forces afghanes, lancée à la faveur du retrait des troupes américaines du pays, désormais quasiment terminé.
Quelques heures après que l'armée américaine eut annoncé avoir achevé "à plus de 90%" son retrait d'Afghanistan, les talibans, qui se sont emparés depuis mai d'importantes portions rurales du territoire afghan et rapprochés de plusieurs grandes villes, sont entrés mercredi matin dans Qala-i-Naw, capitale de la province de Badghis, dans le Nord-Ouest du pays, où les combats se poursuivent, selon les autorités locales.
"L'ennemi est entré dans la ville, tous les districts (alentour, ndlr) sont tombés, les combats ont commencé en ville", a déclaré le gouverneur de Badghis, Hessamuddin Shams, dans un SMS à des journalistes.
Le chef du conseil provincial de Badghis, Abdul Aziz Bek, avait confirmé plus tôt 'entrée des talibans et les combats dans la ville.
"La nuit dernière, des responsables des services de sécurité de la province se sont rendus aux talibans et ces derniers étaient en ville ce (mercredi) matin", a indiqué Abdul Aziz Bek.
"Les combats continuent en ce moment même dans diverses parties de la ville", a-t-il ajouté, précisant que "la prison de la ville a été ouverte et environ 200 prisonniers se sont enfuis".
Membre du conseil provincial, Zia Gul Habibi, a précisé que les insurgés s'étaient emparés du siège de la police et du QG local du NDS, les services afghans de renseignement.
"Les responsables de la province se sont réfugiés dans un camp militaire en ville", dans laquelle "les combats continuent", a-t-elle poursuivi.
Le gouverneur Shams a assuré plus tard dans un message vidéo publié sur Facebook, dans lequel il apparaît un fusil d'assaut sur l'épaule et des chargeurs sur la poitrine, que "toutes les forces de sécurité (...) défendent la ville" et que "l'ennemi a subi des pertes et est défait", alors que résonnent des rafales de tirs nourris.
Il a aussi affirmé dans un message audio que les talibans "se retiraient" après avoir "subi des pertes".
Les talibans commettent expulsions et pillages, selon Human Rights Watch
Les talibans ont expulsé des personnes de leurs domiciles dans le nord de l'Afghanistan, et pillent ou incendient certaines habitations, au moment où ils redoublent leur offensive contre les forces gouvernementales, a dénoncé mercredi Human Rights Watch.
Selon l'ONG, des habitants de Bagh-e Sherkat, dans la province de Kunduz, ont rapporté avoir reçu un avertissement sonore des insurgés fin juin, leur demandant de quitter leur domicile dans les deux heures "pour leur propre sécurité".
Selon Human Rights Watch, des habitants interrogés par téléphone ont indiqué que quelque 600 familles avaient dû quitter la ville, que les talibans avaient menacé des personnes ayant soutenu le gouvernement afghan et que certains de leurs combattants avaient pillé et mis le feu à des maisons.
"Les représailles des talibans contre des civils soupçonnés d'avoir soutenu le gouvernement sont un avertissement de mauvais augure concernant le risque que des atrocités soient commises à l'avenir", a jugé Patricia Gossman, directrice Asie de Human Rights Watch.
"Les dirigeants talibans ont le pouvoir d'empêcher leurs troupes de commettre ces abus mais n'ont pas montré pour l'instant qu'ils en avaient l'intention", a-t-elle ajouté.
L'ONG rapporte notamment le témoignage d'une femme, veuve de 45 ans: "Ils (les talibans) ont dit que je devais partir car nous avions aidé les +infidèles+. Cela faisait 20 ans que je vivais dans ce village. Maintenant, je vis à Faizabad, sous une tente."
«Effet psychologique»
"Tout le monde était terrifié dans la matinée quand les gens ont entendu que les talibans étaient entrés en ville (...) On a rapidement entendu des tirs et des explosions", a raconté Aziz Tawakoli, un habitant de Qala-i-Naw. "Désormais les explosions sont audibles au loin, des hélicoptères et avions survolent la ville et frappent parfois des endroits de la ville".
Parallèlement mercredi, des délégations du gouvernement afghan et des talibans se sont rencontrées à Téhéran, a annoncé le ministère iranien des Affaires étrangères, après des mois de négociations au point mort au Qatar.
"Aujourd'hui, le peuple et les dirigeants d'Afghanistan doivent prendre des décisions difficiles pour l'avenir de leur pays", a souligné le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, à l'ouverture des discussions, en saluant le départ américain du territoire de son voisin de l'Est.
Les talibans se sont récemment rapprochés d'Hérat, capitale de la province du même nom, frontalière de l'Iran.
Le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a confirmé qu'une "délégation de haut niveau" était en Iran "à l'invitation officielle" de Téhéran pour y rencontrer des "personnalités afghanes" et discuter de "la situation actuelle du pays et trouver des solutions via des pourparlers".
Entamé en mai, le retrait des troupes américaines a été mené tambour battant, malgré l'avancée inexorable des talibans et le recul des forces afghanes, désormais privées du crucial appui aérien américain.
Les forces américaines et de l'Otan avaient évacué la semaine passée la base aérienne de Bagram, au nord de Kaboul, plus importante installation militaire de la coalition en Afghanistan et centre névralgique de ses opérations sur place depuis l'entrée des troupes américaines dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001.
Le retrait définitif de l'armée américaine sera terminé d'ici la fin août, selon la Maison Blanche. Il mettra un point final à 20 ans d'intervention américaine dans le pays, la plus longue guerre menée par les Etats-Unis dans leur histoire.
Les talibans avaient brièvement tenté en juin d'attaquer Kunduz, capitale de la province du même nom dans le nord du pays. Mais l'entrée des talibans dans Qala-i-Naw devrait porter un nouveau coup au moral - déjà considérablement affaibli - des forces afghanes, selon les analystes.
La prise de Qala-i-Naw par les talibans serait "un succès stratégique, car cela aura un effet psychologique sur les forces afghanes qui perdent du terrain rapidement, comme des dominos face à une force inarrêtable", explique Nishank Motwani, chercheur spécialisé sur l'Afghanistan.