AVIGNON: On attendait Isabelle Huppert, mais c'est un acteur encore peu connu du grand public qui a remporté tous les suffrages : le comédien Adama Diop a fait sensation lundi soir dans « La Cerisaie », spectacle d'ouverture du Festival d'Avignon.
Le jeu puissant de l'acteur sénégalo-français a éclipsé la star ainsi que la mise en scène du Portugais Tiago Rodrigues, tout juste nommé futur patron de la prestigieuse manifestation théâtrale.
Dans la Cour d'honneur du Palais des Papes, un an après l'annulation de l'édition 2020, les quelque 2 000 spectateurs ont réservé des applaudissements nourris au traditionnel son des trompettes, composé par Maurice Jarre, qui annonce le début d'une représentation au festival.
Mais 2H30 plus tard - après un retard de 40 minutes en raison de la file d'attente et des contrôles liés au pass sanitaire -, le même public a réservé des applaudissements polis aux saluts.
La critique, mitigée, évoquait mardi une mise en scène « en mal d’élan collectif » ou « qui manque de sève », tout en saluant la qualité des acteurs.
Emancipation
Dernière pièce et l'une des plus jouées de Tchekhov, « La Cerisaie » (1904), qui évoque une époque en pleine mutation, à cheval entre « le monde d'avant » et « le monde d'après », avait tout pour trouver une résonance particulière chez les spectateurs après le bouleversement mondial provoqué par la pandémie.
Une aristocrate désargentée, Lioubov (Isabelle Huppert) est de retour dans sa Russie natale après des années passées à Paris mais ses dettes la poussent à vendre sa maison à Lopakhine, fils de moujik (paysan russe) devenu marchand (Adama Diop).
Cela impliquera la destruction de la cerisaie du domaine, métaphore de la fin d'une époque dans la Russie au début du XXe siècle, la fin de l'aristocratie et l'avènement de la bourgeoisie.
Lopakhine est « quelqu'un qui s'est émancipé de l’histoire de ses ancêtres, de l’histoire de l’esclavage qu'ont vécu son grand-père et son père. Il réussit lui, là où ont échoué son père et son grand-père », a expliqué Adama Diop, interviewé par l'AFP TV lors de la générale de presse samedi.
Il s'est dit « très chanceux » de jouer aux côtés d'Isabelle Huppert dont la « présence folle » a poussé la distribution à « profiter de chaque moment sur le plateau ».
Né en 1981, le comédien au physique d'athlète et à la diction parfaite, a quitté Dakar dans les années 90 pour Paris, où il est passé par le Conservatoire et fait ses premières armes auprès de metteurs en scène comme Cyril Teste, Julien Gosselin ou Frank Castorf, avant d'être révélé en 2018 dans le rôle de « Macbeth » à l'Odéon.
Il serait le premier comédien noir à jouer ce rôle en France, où la diversité sur les planches avance à petits pas.
« Athlète du théâtre »
Une question sur laquelle met l'accent Tiago Rodrigues, avec une distribution comptant notamment Nadim Ahmed, l'ex-footballeuse devenue comédienne Océane Caïraty, Alison Valence qui avait également joué dans « Macbeth » à l'Odéon ou encore Tom Adjibi (celui qui a provoqué le plus de rires dans le public grâce à son interprétation d'Epikhodov, le comptable du domaine).
Cette version de « La Cerisaie », née d'une rencontre en 2018 entre le metteur en scène et Isabelle Huppert, est la troisième pièce du Portugais au Festival d'Avignon, dont il prendra les rênes à partir de septembre 2022, succédant à Olivier Py.
« C'est la première fois qu'elle joue du Tchekhov et c'est la première fois que je mets en scène une pièce de lui... Je suis athée mais si j'avais un saint qui me protège ça serait Saint Tchekhov! », a plaisanté Rodrigues, pour qui Huppert est une « athlète de haute compétition de théâtre ».
« Nous avons la capacité, à travers le théâtre, d'utiliser Tchekhov comme une loupe pour regarder notre monde. La pandémie sera présente dans le regard du spectateur mais je suis sûr que dans dix ans, ‘Le Cerisaie’ parlera encore de tout ce qui se passe dans le monde », a-t-il souligné.