ATHENES: Quelques 25 ans après la déclaration du Grand Liban par le général Henri Gouraud, le Liban a vu le jour de manière définitive le 22 novembre 1945. La même année, il devenait membre fondateur de l’ONU. En 1947, l’un de ses plus brillants hommes politiques, Charles Malek, contribuait à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, aux côtés de René Cassin, de Peng Chung Chang et John Humphrey, sous la houlette de la veuve de Franklin D. Roosevelt, Eleanor.
Cet âge d’or est aujourd’hui une chimère. Le Liban de 2020 n’est rien de moins qu’un Etat défaillant, un pays qui, selon l’ex-ministre des Affaires étrangères (AE) Nassif Hitti, « est le moins influent régionalement et internationalement et le plus influencé » par les puissances étrangères. A Arab News en français, Nassif Hitti confie que la date du 1er septembre a, certes, une dimension « sentimentale » en lien avec « l’importance de la création de cette entité » qui deviendra le Liban moderne.
Volonté et clairvoyance
Mais d’autre part, cet anniversaire intervient à un moment de son Histoire où il faut l’empêcher « de couler comme le Titanic ». « Une confrontation est plus que nécessaire aujourd’hui avec l’establishment en place. Il faut faire preuve de volonté et de clairvoyance, cela est indispensable dans un pays où près de 52% de la population vit en-deçà du seuil de pauvreté et où, en lieu et place d’un ascenseur social, il y a désormais un « descenseur » social ».
Et d’ajouter, sans états d’âme : «Le temps est notre ennemi juré ». Sans plus attendre, il faudrait, selon Hitti, qu’un gouvernement soit créé, qu’il détienne un plan d’action et une feuille de route assortis d’un calendrier clair. « Il faut foncer. Dire que nous sommes un pays de coexistence ne suffit plus. Aujourd’hui tout est politisé. Il faut entamer des réformes structurelles et globales : politiques, économiques et financières ». Et d’ajouter : « Il faut de la transparence et une responsabilisation » des acteurs politiques.
La stabilité du Liban, un enjeu stratégique
Quid du rôle de la France au Liban, alors que le président français Emmanuel Macron foule le sol libanais pour la deuxième fois en moins de deux mois ? L’intervention française n’est-elle pas surtout mue par le lien historique qui existe entre les deux pays ? « Il existe certainement une dimension sentimentale. Pour Paris, il faut sauver ce pays, modèle de coexistence, d’unité dans la diversité ». Toutefois, il ne faudrait pas minimiser l’importance stratégique de Beyrouth et de sa stabilité. « Cette stabilité est importante non seulement pour le Moyen-Orient, mais aussi pour l’ensemble de la Méditerranée. La stabilité profonde du Liban est importante pour des raisons stratégiques évidentes », martèle Hitti.
Rappelons-le, cet ex-chef de la diplomatie libanaise a claqué la porte de son ministère au lendemain d’une déclaration maladroite du Premier ministre démissionnaire Hassan Diab à l’encontre du ministre français des AE, Jean-Yves Le Drian. Ce dernier, en visite à Beyrouth, avait sévèrement tancé les responsables libanais pour leur inaction. En réponse, M. Diab avait affirmé que Le Drian « manquait d’informations » quant aux réformes entreprises par son gouvernement. Malgré le froid jeté par cette déclaration, Emmanuel Macron a été le premier leader international à se rendre au chevet de Beyrouth après la funeste explosion du 4 août qui a balayé près de la moitié de la ville.
Un contrat social nouveau
Alors, Paris est-il en mesure d’empêcher Beyrouth de couler ? Sans hésiter, Nassif Hitti répond par l’affirmative. Avant de s’empresser de ponctuer sa réponse par un « mais ». « Mais nous devons faire notre devoir », souligne-t-il. « Je compte beaucoup sur le rôle de la France. Ce pays est un ami. Or un ami, c’est celui qui vous dit la vérité telle qu’elle est. Durant mon mandat de ministre, j’étais très ouvert aux critiques. La France peut avoir un rôle d’accompagnateur, seulement si nous prenons les responsabilités qui sont les nôtres ».
Comment Nassif Hitti perçoit-il le Liban de 2021 ? D’emblée, le diplomate appelle de ses vœux « un contrat social nouveau, une réforme profonde du système politique, qui puisse mettre un terme à la logique sectaire et au règne des chefs de tribus ».