AIX-EN-PROVENCE, France : Qui a peur de l'opéra contemporain? Après le succès de "Written on Skin" en 2012, le Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence veut récidiver vendredi avec une nouvelle création mondiale, imaginée en un haletant "opéra-thriller" et chantée en rien moins que neuf langues.
Un mariage, un fiancé finlandais et sa promise roumaine, une belle-mère française et soudain la serveuse tchèque qui se sent mal au cours du banquet. Avec des fantômes du passé qui reviennent hanter tous ces personnages frappés par un drame dix ans plus tôt, une fusillade dans une école internationale.
Il a fallu sept ans à Kaija Saariaho, éminente compositrice contemporaine, pour mettre au point "Innocence", qui aurait dû être présenté à l'édition 2020 - laminée au final par la pandémie.
Cet opéra, qui voyagera à Helsinki, Londres, Amsterdam et San Francisco, est le cinquième de la Finlandaise qui devient la première femme à composer un opéra pour le festival. Elle a notamment créé "L'Amour de loin", sur un livret d'Amine Maalouf.
Un âge d'innocence perdu
A cette aventure se sont jointes deux de ses compatriotes, la romancière Sofi Oksanen qui a écrit le livret original et la cheffe d'orchestre Susanna Mälkki. Le metteur en scène est l'Australien Simon Stone, très demandé au théâtre, à l'opéra et qui a récemment réalisé "The Dig" sur Netflix.
Pour Susanna Mälkki, cheffe férue d'opéras contemporains, la création a tout pour avoir un "grand impact" sur le public.
"C'est très narratif, presque cinématographique", dit-elle à l'AFP. Chacun des 13 personnages "a sa propre musique et il y a ce va-et-vient entre les souvenirs et le moment présent", avec "des coupes entre chaque scène comme celles auxquelles on est habitué en télé".
Elle estime que Kaija Saariaho a été "très courageuse" dans le choix de ce sujet d'actualité, une fusillade dans une école, tout en précisant que l'opéra va au-delà d'un fait qu'on lit dans un journal. "On voit comment ça impacte les gens, c'est très puissant".
Les scènes se succèdent sur un grand décor de deux étages divisés en plusieurs compartiments et plantés sur une tournette - plateforme qui pivote -, un procédé privilégié chez Simon Stone.
"Le traumatisme est au centre de l'action et fait que tous perdent leur innocence d'une manière différente; c'est comme lorsque qu'il vous arrive quelque chose de dramatique et que vous vous rappelez combien vous étiez heureux avant", précise Susanna Mälkki qui dirigera le London Symphony Orchestra pour cette création.
"Une question de curiosité"
A chaque création d'opéra se pose la question des clichés qui entourent les productions contemporaines.
"On me dit souvent +c'est si difficile, si complexe+. Parce que ce n'est pas connu, c'est normal de se sentir dérouté", relève celle qui est directrice musicale de l'Orchestre philharmonique d'Helsinki et cheffe principale invitée du Los Angeles Philharmonic.
"Je pense qu'il faut arrêter de parler de l'opéra contemporain comme s'il s'agissait d'une énigme; c'est une question de curiosité et il faut donner une chance" à chaque nouvelle production, assure-t-elle.
"C'est comme si quelqu'un vous donnait un livre, que vous ne l'aimiez pas et vous vous dites +je ne vais plus jamais lire de livre", dit-elle. "Je suis une grande défenseure de la musique moderne mais je vais parfois à des concerts où ça ne me plaît pas et ce n'est pas grave!".
Depuis le succès de "Written On Skin", composé par le Britannique George Benjamin pour le Festival d'Aix, qui est considéré comme un "laboratoire d'opéras", elle note une tendance à "un retour au narratif".
"L'opéra coûte cher, donc on ne peut jamais être sûr que ça va être rejoué une trentaine de fois", dit la cheffe d'orchestre. Mais il faut aller de l'avant pour soutenir un art "très vivant et qui a son mot à dire".