PARIS: Inconnu nommé contre toute attente à Matignon il y a un an, Jean Castex s'est fait une place par sa gestion de la crise sanitaire et son activisme forcené, sans risquer de faire de l'ombre à Emmanuel Macron.
"Moi je suis un type très simple", se plaît à répéter le Premier ministre, 56 ans, rappelant volontiers dans la même phrase qu'il n'avait "pas demandé à être ici", au poste où le président vient de le confirmer.
Le 3 juillet 2020, quand la silhouette longiligne d'Edouard Philippe quitte Matignon, la France découvre en même temps le nom et le visage de son nouveau Premier ministre, un haut fonctionnaire issu de la droite à la réputation de techno efficace, qui vient de piloter le déconfinement de mai 2020. Un maigre CV de maire de la petite ville de Prades, dans les Pyrénées-orientales, ex-secrétaire général adjoint à la présidence sous Nicolas Sarkozy, un phrasé un peu suranné mâtiné d'accent du sud-ouest et des références au "gaullisme social" qui en font une sorte d'incongruité dans une macronie biberonnée à la modernité.
"Castex, il a gagné au loto, pour lui c'est Noël tous les jours", pouffe ainsi un ministre avec une pointe de condescendance.
Castex entendu par la CJR dans l'enquête visant Dupond-Moretti
Le Premier ministre Jean Castex a été entendu en juin par les magistrats de la Cour de justice de la République (CJR) dans l'enquête pour "prise illégale d'intérêts" qui vise le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, ont indiqué mardi à l'AFP Matignon et une source judiciaire, confirmant une information du Canard enchaîné.
Le chef du gouvernement a été entendu le 7 juin comme témoin, ont confirmé ces deux sources.
Selon le Canard enchaîné, le garde des Sceaux devrait être prochainement convoqué par les magistrats de la CJR, seule juridiction habilitée à juger des ministres pour des actes commis dans l'exercice de leurs fonctions, en vue d'une mise en examen.
Contacté par l'AFP, l'entourage de M. Dupond-Moretti a dit n'avoir "aucune information, aucun commentaire" à faire sur une éventuelle convocation.
La CJR a ouvert en janvier une information judiciaire pour "prise illégale d'intérêts" après avoir reçu des plaintes déposées en décembre par trois syndicats (Union syndicale des magistrats, Syndicat de la magistrature, Unité magistrats SNM FO) et l'association Anticor sur de possibles conflits d'intérêts entre son action de ministre de la Justice et ses activités passées d'avocat, ce que le ministre conteste.
Au cœur des accusations figure l'enquête administrative ordonnée par le ministre en septembre sur trois magistrats du parquet national financier (PNF) qui avaient participé à une enquête préliminaire visant à identifier la taupe qui aurait informé Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu'ils étaient sur écoute dans l'affaire dite "Bismuth".
Pendant ces investigations menées durant environ six ans, des facturations téléphoniques détaillées de plusieurs pénalistes, dont celles du futur ministre, avaient été examinées. Encore avocat, M. Dupond-Moretti avait dénoncé des "méthodes de barbouzes".
Face à la polémique, une inspection générale diligentée par sa prédécesseure place Vendôme Nicole Belloubet avait globalement dédouané le PNF.
Les syndicats reprochent également au ministre Dupond-Moretti d'avoir ouvert une autre enquête administrative sur le magistrat Edouard Levrault. Après la cessation de ses fonctions comme juge d'instruction à Monaco, ce dernier avait dénoncé des pressions dans ses enquêtes.
Avant de devenir ministre, M. Dupond-Moretti avait été l'avocat d'un policier mis en examen par ce magistrat et avait critiqué les méthodes du juge.
Certes, quand il s'agit de mesurer l'empreinte de M. Castex, il est difficile d'échapper à la comparaison avec son prédécesseur, parti au zénith d'une popularité construite en quelques mois lors de la crise du Covid. "La statue du commandeur est difficile à bouger", confirme un ponte de la majorité.
Pour se distinguer, M. Castex a endossé pleinement son rôle de paratonnerre pour le président: quand M. Philippe se faisait messager des bonnes nouvelles lors du premier déconfinement, charge à M. Castex, l'hiver venu, de monter au front pour égréner d'une conférence de presse à l'autre l'interminable liste des restrictions en tous genres, à mesure que la situation sanitaire et sa propre courbe dans les sondages se dégradent.
"Il a trouvé la place du protecteur: quand il y a une balle, il lève la main pour l'attraper", métaphorise ainsi un proche du chef de l'Etat, tout en saluant "l'hyper investissement" de M. Castex.
C'est là l'autre marque de fabrique du Premier ministre: avec 180 déplacements en 12 mois, M. Castex a entrepris de sillonner la France des sous-préfectures et des zones blanches, autant désireux de suturer les relations entre l'exécutif et les territoires que de promouvoir l'action gouvernementale. "Dès que je vais en province, je suis heureux", clame-t-il, revendiquant sa qualité d"homme de terrain" face aux "yakafaukon".
«Grains de sable»
Avec ses manières décontractées et conviviales, ses passions pour le rugby, les trains, Georges Brassens et sa collection de revues d'histoire, "les Français se reconnaissent en lui", assure une ministre, pestant contre les critiques parisiennes sur son style.
A Matignon, où il habite avec deux de ses quatre filles, son épouse et sa petite chienne Luna, M. Castex a théorisé avec humour le flux continu des contrariétés: "Je passe ma vie à gérer des grains de sable, je pourrais en faire un désert".
Parmi ces grains de sable, les multiples soubresauts de l'épidémie, dont la campagne vaccinale, qui en font un "Premier ministre très sanitaro-centré", comme l'observe un conseiller de M. Macron.
De fait, M. Castex tente d'élargir sa gamme, insistant volontiers sur la sécurité, la dialogue social, la mise en oeuvre du plan de relance ou encore affirmant qu'il voit "parfaitement ce qu'il faut faire" en matière de réforme de retraites, lui qui avait épluché le dossier entre 2007 et 2009 au cabinet du ministre du Travail Xavier Bertrand.
Les régionales ont aussi été l'occasion de tremper un doigt dans la marmite politicienne, en annonçant lui-même l'accord en PACA entre la majorité et le président LR sortant Renaud Muselier.
Mais de quel poids dispose-t-il réellemment face à un président "qui gouverne lui-même toute les semaines en Conseil de défense", dixit un ministre, à quelques poids-lourds remuants au sein même de son gouvernement et à une majorité parlementaire rodée et parfois indocile?
"Castex a un management d'équipe", loue un proche du président. "Mais à l'inverse il a un problème d'autorité", souligne-t-il, constatant que "Matignon n'est plus la machine de guerre" qu'elle fut avec Edouard Philippe et sa garde prétorienne. De quoi concentrer, plus que jamais, la décision à l'Elysée.