VITRY-SUR-SEINE : "On est en baisse de patients, certains sont décédés en cours d'année avec le Covid": Comme chaque matin, Maxime Bellesoeur remplit d'oxygène liquide les réservoirs de son camion, avant de partir en tournée.
Avec la pandémie, l'oxygène médical qu'il livre à domicile a acquis la même importance vitale que les masques chirurgicaux ou les vaccins.
Mais, alors qu'il manque cruellement en Inde, en Bolivie et dans quasiment tous les pays du sud, l'oxygène médical coule à flot dans le monde industrialisé. Grâce à une chaîne logistique d'approvisionnement unique et très contrôlée, il part d'unités de production automatisées jusque dans le salon ou la chambre des malades, sous forme liquide ou gazeuse.
La matière première c'est l'air ambiant, composé à 78% d'azote et à 21% d'oxygène. Après filtrage, les atomes sont séparés par cryo-distillation.
Défi logistique
"Comme les deux molécules ne passent pas de l'état liquide à l'état gazeux à la même température (-182 degrés pour l'oxygène, et -195 degrés pour l'azote), une colonne de distillation permet de les séparer. On obtient un oxygène avec une pureté de 99%, le seuil défini par la pharmacopée européenne", explique Régis d'Hérouville, directeur-général d'Air Liquide Santé, filiale santé du géant des gaz industriels qui dispose de huit unités de production d'oxygène médical réparties sur tout le territoire.
Dans un de ses laboratoires à Bonneuil-sur-Marne, qui reçoit par camion citerne réfrigéré l'oxygène liquide compressé provenant de son usine de Moissy-Cramoyel, Fouad Aissaoui, opérateur d'exploitation, remplit une rampe de bouteilles en acier.
Chacune contient cinq litres d'oxygène gazeux à 200 bars de pression. Elles sont destinées à permettre la mobilité des patients.
"Pendant les confinements, on a augmenté les équipes et fait des renforts de week-end, on ne s'est pas posé de question, car on a une responsabilité vis-à-vis des patients", explique le jeune homme.
"D'un point de vue logistique, c'était un défi, la mobilisation des équipes a été incroyable", acquiesce M. d'Hérouville.
Au pic de la pandémie, "certains hôpitaux français, livrés directement en oxygène liquide, ont multiplié leur consommation par 6 ou 7", ajoute le responsable. Il a fallu adapter les rythmes de production. Globalement, la consommation a augmenté de près de 50%.
Aujourd'hui, même ralentie, elle ne s’essouffle pas.
Dans le fourgon de livraison du prestataire de service Vitalair, filiale d'Air Liquide, l'oxygène liquide conservé à -182 degrés, et très concentré, servira à remplir des bonbonnes directement au domicile des patients. Comme chez Nicole Louette, 82 ans, peintre amateur, vivant à Ivry-sur-Seine.
Même si, en ce début d'été, les masques tombent avec les progrès de la vaccination, les patients en insuffisance respiratoire chronique, comme Nicole, continuent d'avoir besoin de leur bol d'oxygène: 20 ans que son quotidien est lié à une mince tubulure de plastique; 20 ans qu'elle attend chaque semaine la visite de son livreur.
«Toujours essoufflée»
Sa grande angoisse ce jour-là est d'organiser son départ en vacances à Toulon: comment traverser la France sans manquer d'air ?
A la bouteille d'oxygène gazeux de format voyage - du même type que celles qui sont remplies par Fouad à Bonneuil-sur-Marne - la pharmacienne de Vitalair lui propose d'ajouter un "concentrateur" portable pour le voyage. Cette machine génère de l'oxygène à partir de l'air ambiant et se branche sur l'allume-cigare de la voiture. De quoi apaiser Nicole.
Pour la suite, le correspondant local du prestataire lui livrera sur son lieu de vacances la même grosse bonbonne d'oxygène liquide que celle qu'elle a chez elle, intransportable en voiture particulière pour raison de sécurité.
Comme Nicole, ils sont plus de 100 000 patients en France selon les chiffres de l'assurance maladie, à avoir besoin d'oxygène de manière chronique.
"Il ne s'agit pas de soigner les poumons, mais de protéger les organes du corps, en particulier le cerveau qui en a besoin pour fonctionner correctement, l'oxygène diminue la fatigue, les symptômes, et allonge la vie des patients chroniques", explique Joëlle Texereau, pneumologue coordinatrice de Vitalair.
"C'est un choc psychologique quand un patient est mis sous oxygène, cela signifie qu'il souffre d'une maladie sérieuse, mais cela veut aussi dire qu'on peut vivre avec ça" et cela améliore l'espérance de vie des malades de mucoviscidose, de fibroses pulmonaires ou d'autres maladies neuromusculaires.