PARIS : Comment assurer de meilleurs revenus aux agriculteurs? Moins de trois ans après la loi Alimentation, un nouveau texte porté par la majorité arrive à l'Assemblée jeudi afin de renforcer leur pouvoir dans les négociations avec les industriels et les supermarchés.
Objectif: compléter l'arsenal de la loi Alimentation ou "Egalim" votée en 2018, qui a notamment encadré les promotions et relevé le seuil de revente à perte afin d'enrayer la course aux prix bas en magasins, mais qui n'a pas tenu ses promesses en termes de rémunération pour les agriculteurs.
La proposition de loi du député Grégory Besson-Moreau (LREM, Aube), soutenue par le gouvernement, va être examinée en séance publique jeudi, après avoir été adoptée le 16 juin en commission des affaires économiques.
Elle prévoit de généraliser les contrats écrits entre l'agriculteur et l'entreprise qui va transformer ses produits, sur trois ans minimum, en tenant compte des coûts de production. Et de rendre "non négociable", entre l'industriel et le distributeur, la part du prix correspondant au coût des matières premières agricoles.
«Aveu d'échec»
Le but est de "protéger les trois acteurs", a plaidé M. Besson-Moreau auprès de l'AFP. "Les agriculteurs et leur rémunération, bien sûr, mais aussi les industriels" qui vont pouvoir répercuter le prix de la matière première agricole sur les acheteurs de la grande distribution. Quant à cette dernière, "elle sera certaine que le prix proposé par les industriels rémunère bien les agriculteurs".
"La juste rémunération des agriculteurs est l'enjeu le plus important de l'agriculture. Elle sous-tend toutes les questions agricoles: souveraineté alimentaire, renouvellement des générations, transition vers des modèles plus vertueux", a-t-il insisté devant la commission des affaires économiques.
Au nom du groupe Les Républicains (LR), le député Julien Dive a affirmé que le texte sonnait "l'aveu d'échec" d'Egalim: "Le constat est implacable. Depuis Egalim, la rémunération des agriculteurs n'a pas augmenté".
Pour Dominique Potier (groupe socialiste), le nouveau texte est encore "loin du compte", en raison d'un "rapport de force économique qui est totalement déséquilibré".
Du côté des agriculteurs, le syndicat majoritaire FNSEA accueille favorablement l'initiative, tout en appelant à renforcer ses dispositions.
«Soutien total»
A l'inverse, industriels transformateurs et distributeurs affichent leurs réticences.
Les grandes organisations défendant les intérêts des premiers (Ania, Coopération Agricole, FEEF et Ilec) "saluent l'ambition de mettre fin à cette guerre des prix" mais redoutent que leurs professions soient prises en étau entre les distributeurs et les producteurs. Elles veulent que leurs propres coûts soient aussi "sanctuarisés".
De son côté, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) plaidait en mai que "la grande distribution alimentaire est loin d'être le premier débouché des exploitants agricoles" et que "la part de la +négociation annuelle+ avec la grande distribution est marginale dans les revenus des exploitants agricoles".
Moins ouvertement, des acteurs mettent aussi en garde contre le risque de voir des entreprises s'approvisionner davantage à l'étranger si les prix des matières premières agricoles françaises sont déconnectés du marché.
La Fédération française des spiritueux (FFS) a enfin déclaré à l'AFP soutenir "l'objectif" de la loi visant "à préserver le revenu du producteur agricole".
Elle précise toutefois que, "compte tenu du procédé de vieillissement très long" pour elle, il n'y a "pas de réelle corrélation entre le prix de nos matières premières agricoles" à l'achat, et le prix de revente aux consommateurs.
A ses yeux, l'interdépendance entre les deux, prévue par le projet de loi, "pourrait en définitive se révéler nuisible pour tous les opérateurs de la filière".