PARIS: Entretien avec Dana Jomaa, présidente du Réseau des étudiants pour le monde arabe (Rema), une fédération d’associations présente dans toute la France dans le but de promouvoir le monde arabe.
Depuis sa création en janvier 2017, le Rema a développé sa présence dans une dizaine d’établissements universitaires français. Comment cela se traduit-il sur le terrain ?
Notre développement consiste en premier lieu à aider nos antennes à s’épanouir dans leur environnement respectif, et à accompagner les nouvelles antennes dans leur création. Il s’agit tout d’abord de favoriser l’interaction et l’entraide entre nos membres, des personnes aux expériences et profils très variés, qui ont en commun d’être passionnées par le monde arabe et sa culture. Beaucoup de nos événements ont pour but premier d’encourager les échanges que ce soit en termes de langue, d’expériences, de parcours, d’idées.
Nous organisons conférences, colloques, cercles de discussion, débats, mais aussi des soirées littéraires, des visites d’expositions, des projections de films et documentaires, des soirées culturelles, des sorties dans des restaurants arabes, des ateliers (calligraphie, chorale, théâtre, échanges linguistiques...). Nos antennes ont organisé plusieurs voyages dans des pays arabes (Maroc, Tunisie, Émirats arabes unis…). Nos activités passent aussi par la publication d’articles rédigés par nos membres. Le Rema sert également de structure commune pour développer des collaborations avec des organisations diverses (Unesco, instituts culturels, ambassades), et nous nous faisons le relais de cette « vie arabe » en France.
Quels événements majeurs avez-vous pu organiser ?
Sur le plan culturel, un des événements les plus importants pour le Rema est la Journée du monde arabe, organisée chaque année par Al-Wissal, notre association à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Cette journée est ouverte au public, qui peut venir déguster les plats d’un buffet proposé par nos membres, s’informer, participer à des ateliers (henné, calligraphie…), assister à des conférences ou encore à un concert/spectacle.
Nous organisons aussi de nombreuses rencontres pour favoriser les échanges en langue arabe, par exemple autour de thèmes comme la poésie, l’exil…, des visites d’expositions liées au monde arabe ou des projections-débats. Sur le plan académique, nos associations organisent des conférences tout au long de l’année. Nous avons par exemple organisé un colloque sur l’Union du Maghreb arabe (UMA) (Étudiants pour le monde arabe – EMA Science Po), un séminaire sur l’orientalisme (Al Wissal, Inalco), une rencontre avec les ambassadeurs de Jordanie (EMA Science Po) et du Liban (EMA Sorbonne), et des conférences sur de nombreuses thématiques d’actualité : le sport et les pays du Golfe, le monde arabe à l’aube du sursaut écologique…
« Porter un regard arabe sur le monde arabe »
Vous avez développé un format original de débats intitulé « la simulation de la Ligue arabe ». Peut-on en savoir davantage ?
Chaque semestre, nous organisons en effet une conférence de simulation de négociations diplomatiques de la Ligue des États arabes. Les participants prennent part à des discussions, pendant un jour ou deux, sur un sujet imposé. Chaque participant représente un État arabe et doit négocier pour produire une résolution commune sur le sujet, ce qui constitue un bon moyen de former les étudiants aux techniques de débats, tout en discutant de sujets d’actualité du monde arabe. Les thèmes sont variés et peuvent être géopolitiques, historiques, culturels ou économiques. D’autre part, nous développons plusieurs initiatives sur le terrain de l’apprentissage de la langue arabe, comme un système de tutorat et la mise en place d’ateliers d’initiation à l’arabe.
Vous semblez déterminée à combattre les clichés et les discriminations envers la culture arabe…
Au-delà de fédérer ces associations, le Rema a été fondé pour poursuivre un objectif plus large. Si nous sommes une organisation apolitique, dans le sens où nous ne sommes affiliés à aucun parti et où nous ne faisons pas de militantisme politique à proprement parler, nous avons toutefois à cœur d’agir dans une direction précise, celle de la promotion du monde arabe à travers le renouvellement des regards portés à cette région qui, selon nous, n’est pas traitée à sa juste valeur dans les initiatives étudiantes déjà existantes en France.
Cela se concrétise d’abord par une déconstruction des approches orientalistes du monde arabe (l’orientalisme au sens des thématiques développées notamment par Edward Saïd). Cela passe par un effort pour se départir des connotations négatives dont le monde arabe et l’arabité en général peuvent être porteurs dans l’environnement universitaire et académique français, et plus largement dans la société dans laquelle nous vivons. Le premier terrain de promotion est celui de la connaissance de la langue arabe, une richesse aux niveaux culturel, personnel et professionnel que malheureusement beaucoup d’étudiants ignorent, même quand ils en maîtrisent déjà les bases ou un dialecte. Nous encourageons à travers nos activités l’apprentissage, l’enseignement et la pratique de l’arabe et de ses dialectes.
D’autre part, un pan important de nos activités consiste à favoriser les événements et projets qui permettent de déconstruire les idées et les images du monde arabe, souvent dégradantes, fatalistes, ou biaisées, pour justement montrer les richesses et les potentialités de la région. Enfin, nous voulons encourager notre public, arabe ou non, à porter ce que j’appellerais « un regard arabe » sur le monde arabe. Cela implique de se départir des concepts et grilles de lecture étrangers au monde arabe qui sont souvent plaqués à cette région depuis l’extérieur, sans une véritable compréhension de ses enjeux et de ses sociétés.
Quels sont vos projets et ambitions pour les mois à venir ?
Cette année a été particulièrement difficile pour l’activité associative en France de manière générale, avec notamment les grèves nationales et la crise sanitaire, ce qui ne fait qu’accroître nos motivations et ambitions pour les mois à venir. Notre priorité sera de poursuivre le développement du réseau sur plusieurs terrains. Il sera question d’organiser plusieurs événements réunissant toutes nos antennes. Nous souhaitons favoriser nos collaborations avec des organismes, institutions, associations et organisations des pays arabes, et nous sommes toujours ouverts aux nouvelles rencontres.
Nous projetons de continuer à nous développer aussi par l’implantation de nouvelles antennes, afin de permettre à un maximum d’étudiants de profiter de nos activités. Plusieurs voyages dans les pays arabes ont été reportés cette année et auront donc lieu quand la situation nous le permettra. Enfin, nous comptons développer nos activités numériques via les réseaux sociaux et notre site Internet, pour proposer à nos membres une plate-forme pour la publication régulière d'articles qui nous aideront à inviter le plus grand nombre à changer leur regard sur le monde arabe et à le voir tel que nous le voyons, une richesse dont nous sommes les héritiers.