PARIS : Puissant en 2015, le front républicain pour faire barrage au Rassemblement national s'effrite à l'approche du premier tour des régionales, remis en cause tant par les partis, qui doutent de son efficacité, que par les électeurs.
Il est 22H00 en ce 6 décembre 2015, soir de premier tour des régionales, et le Premier secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis, costume et cravate noirs de fossoyeur, annonce depuis la rue de Solférino le retrait dans les Hauts-de-France et en PACA, afin de faire "barrage républicain" au RN (alors FN). "Pendant 5 ans, les socialistes ne siègeront pas dans ces régions", conclut-il d'un ton lugubre, offrant ainsi deux régions à la droite.
Avec presque six ans de recul, l'idée a perdu beaucoup de sa force, alors même que les intentions de vote pour le RN restent élevées, voire dominantes dans certaines régions.
Selon un sondage Kantar pour franceinfo et Le Monde, paru en mai, 42% des Français se disent d'accord avec l'idée d'une fusion ou d'un retrait pour contrer le RN au deuxième tour; soit 10 points de moins qu'un an auparavant, avant les municipales.
"Il y a un affaissement de l'idée selon laquelle il faudrait 'barrer la route à'", confirme Jérôme Rivière, directeur international pour les études politiques à Kantar. "Et une allergie des gens aux stratégies politiques", souligne-t-il encore, en montrant que la tendance est plus marquée "chez les personnes sans préférence partisane et chez les sympathisants LR".
À l'approche du premier tour, rares sont donc ceux à annoncer clairement leur intention de se désister si le RN se trouvait en position de l'emporter.
Un choix tactique, pour ne pas démobiliser l'électorat de chacun et ne pas préempter les négociations qui suivront. Mais aussi une inflexion stratégique, alors que chacun tente d'affirmer son identité dans un paysage en recomposition autour du clivage entre la majorité d'Emmanuel Macron et le RN.
"Les régionales peuvent être un laboratoire pour voir comment les forces se structurent, à 6 mois de la présidentielle", observe ainsi un proche de M. Macron.
Cela conduit par exemple LR à afficher une position de fermeté. "Notre ligne a toujours été claire : pas d'alliance", martèle le président Christian Jacob, qui réunira un conseil lundi prochain pour examiner les résultats.
«Accords techniques»
Si plusieurs têtes de liste de droite, dont Xavier Bertrand, répètent que leur liste du second tour sera celle du premier, cèderont-elles à l'appel des têtes pensantes de la majorité qui ont, à l'image de l'eurodéputé Stéphane Séjourné, récemment plaidé pour des "accords techniques", c'est à dire des fusions, au second tour face au RN ?
Cela pourrait par exemple se produire dans le Grand Est, où le sortant LR Jean Rottner est menacé par Laurent Jacobelli (RN). Mais aussi en Bourgogne-Franche-Comté, avec la sortante PS Marie-Guite Dufay, voire en PACA, où la décision du candidat EELV/PS/PCF Jean-Laurent Félizia de rallier ou non le LR Renaud Muselier sera cruciale.
"Démocratiquement, ça a du sens", relève une ministre, favorable à ce panachage. "Mais est ce que pour les électeurs c'est entendable ? Ça fait tambouille", s'interroge-t-elle aussi.
À gauche, où l'effacement de 2015 a laissé des traces, l'embarras est similaire.
"Le front républicain est une solution circonstancielle de second tour, il n'empêche pas l'extrême droite de progresser", affirme ainsi l'eurodéputé EELV Yannick Jadot. Mais "le soir du premier tour, nous ferons ce qu'il faut", y compris "se retirer s'il y a un risque réel" comme en PACA, ajoute-t-il.
De son côté, le PS tiendra un bureau national ce vendredi pour arrêter sa position, à commencer par PACA.
Il y aura "un raisonnement région par région", explique le secrétaire national à l'Europe Christophe Clergeau, appelant d'abord LR et LREM à nouer des alliances au sein du "camp de la droite".
Quant à La France insoumise, la question du front républicain est une "injonction absolument inefficace" dont "les gens ont ras-le-bol", dixit le député Adrien Quatennens. "Qu'on arrête de nous demander des comptes", insiste-t-il.