BEYROUTH: Face à la crise économique inédite au Liban, l'armée a affirmé mercredi être dans l'incapacité de payer suffisamment ses soldats frappés par la dépréciation de la monnaie et avoir besoin de colis alimentaires, à la veille d'une conférence de donateurs soutenue par l'ONU.
Contrairement aux précédentes conférences ayant fourni armes, équipements ou formations militaires, la réunion virtuelle organisée par Paris jeudi à 14H00 (12H00 GMT) vise à apporter à l'armée libanaise une aide humanitaire, réservée généralement aux pays en guerre ou en proie à des catastrophes naturelles.
« Nous avons besoin de colis alimentaires, d'un soutien médical et d'une assistance pour les soldats », a déclaré une source militaire libanaise. « La dévaluation de la livre libanaise affecte les soldats. Leurs revenus ne suffisent plus. »
L'effondrement économique que traverse le Liban, le pire de son histoire, s'accompagne d'une dépréciation inédite de la monnaie, qui a perdu 90% de sa valeur face au dollar.
Il y a également l'explosion du chômage et une paupérisation à grande échelle, 55% de la population vivant aujourd'hui sous le seuil de pauvreté. Et ces dernières semaines de graves pénuries de carburant.
La récession, l'une des pires crises financières du monde depuis le milieu du XIXe siècle selon la Banque Mondiale, est largement imputée à la corruption et à l'incompétence de l'élite politique, dominée depuis des décennies par les mêmes familles et les mêmes personnalités.
La dépréciation a fait fondre les salaires en livres libanaises des soldats, mais aussi le budget de l'institution alloué à l'entretien et aux équipements, menaçant ainsi la capacité opérationnelle de la troupe.
Un simple soldat gagne environ 1,2 million de livres libanaises, soit aux alentours de 800 dollars au taux de change officiel, mais de fait près de 80 dollars seulement au taux du marché noir.
« Médicaments, lait, farine »
Paris, qui a fourni en début d'année des rations de survie pour plus d'un million d'euros, devrait annoncer jeudi l'envoi de matériel médical anti-Covid et de pièces détachées pour des véhicules de l'avant blindés et des hélicoptères.
La situation est « d'autant plus problématique que les forces armées libanaises, aujourd'hui, c'est l'institution pilier qui permet d'éviter que la situation sécuritaire ne se dégrade fortement », a-t-on indiqué au cabinet de la ministre française des Armées, Florence Parly.
L'armée libanaise a formulé des « besoins très précis », alimentaires (lait, farine..), en médicaments, en pièces détachées pour la maintenance des matériels, qui s'élèvent à « quelques dizaines de millions d'euros », a-t-on précisé.
Il y a un an, elle avait annoncé qu'elle ne servirait plus de viande dans les repas proposés aux soldats, en raison de la flambée des prix.
Une vingtaine de pays participeront à la conférence virtuelle --les pays membres du Groupe de soutien international au Liban, qui comprend la France, les Etats-Unis, d'autres pays occidentaux, des pays du Golfe, la Russie et la Chine, ainsi que des représentants de l'ONU et de l'Union Européenne.
« Faire l'impossible »
« Dans un monde idéal, l'armée bénéficierait (du soutien) du gouvernement libanais, qui augmenterait non seulement les salaires des forces armées, mais plus largement du secteur public », a expliqué à l'AFP l'expert Aram Nerguizian.
« Comme cela n'arrivera pas de sitôt », il faut « une aide en nature » pour apporter au personnel militaire « des produits de première nécessité, sur lesquels ils dépenseraient leurs salaires désormais sévèrement réduits », a-t-il ajouté.
Depuis l'explosion tragique au port de Beyrouth en août 2020, qui a tué plus de 200 personnes et dévasté des quartiers entiers, l'armée compte davantage sur les dons étrangers.
Les Etats-Unis restent le plus grand bailleur, augmentant cette année les fonds destinés à l'armée libanaise de 15 millions de dollars à 120 millions de dollars.
« Nous faisons l'impossible pour soulager les souffrances et les difficultés économiques de nos soldats », a affirmé le chef de l'armée, Joseph Aoun, reçu en mai par le président français Emmanuel Macron.
Et «nous sommes contraints de nous tourner vers les pays alliés pour obtenir des aides ».