PARIS: Quatre mois après sa création, la plateforme anti-discriminations lancée par le gouvernement dans la foulée du tabassage d'un producteur de musique noir par des policiers a enregistré plus de 5 000 appels, surtout consacrés à l'emploi et au logement.
Depuis février, cette nouvelle structure, joignable au 39 28 et gérée par le Défenseur des droits, reçoit entre 50 et 140 appels par jour.
Comme celui de Dolorès (prénom modifié), une habitante de Seine-Saint-Denis qui soupçonne le maire de sa commune de "préempter les terrains à chaque fois que des gens du voyage veulent acheter" pour qu'ils ne tombent pas entre les mains de "gens sales".
Membre de cette communauté, elle a vu le terrain qu'elle convoitait lui échapper malgré un compromis signé devant notaire. Une "catastrophe" pour cette mère de famille qui s'est retrouvée sans logement après avoir revendu sa caravane et contracté un crédit pour financer son acquisition.
Au bout du fil, l'écoutante Caroline Blond cherche à en savoir plus. A-t-elle conservé les papiers retraçant ses démarches? Peut-elle demander aux anciens propriétaires de témoigner des propos discriminatoires qu'aurait tenus une secrétaire de la mairie?
"Il faut qu'on établisse s'il y a un traitement défavorable basé sur un critère prohibé par la loi", explique la juriste. Il en existe plus d'une vingtaine: origine, âge, religion, orientation sexuelle, apparence physique, handicap, opinions politiques...
Après quinze minutes de conversation, elle conseille à son interlocutrice de saisir le Défenseur des droits en constituant un dossier en ligne. Cette autorité indépendante peut ensuite examiner la situation en détail et contacter la mairie pour tenter de résoudre le litige, en privilégiant un règlement à l'amiable.
Comme pour cette requérante, de nombreux appels concernent l'accès au logement.
Mais sur les "5 000 appels" et 1 500 conversations en ligne enregistrés depuis la création de la plateforme, la question numéro 1 reste l'emploi, qu'il s'agisse de discriminations à l'embauche, de harcèlement ou de pressions sur le lieu de travail, rappelle la Défenseure des droits Claire Hédon.
La police, peu incriminée
Selon Mme Hédon, "pour l'instant, 5% des appels concernent la déontologie des forces de sécurité".
Une proportion faible, alors que la plateforme a été pensée par Emmanuel Macron comme une réponse à l'affaire Michel Zecler, un producteur de musique noir agressé par trois policiers en décembre.
Dans la foulée, le président avait reconnu le caractère "insoutenable" des contrôles au faciès et annoncé la création de cet outil "pour que les gens puissent dénoncer de manière très simple, unique et nationale" les discriminations.
Les premiers résultats n'étonnent pas la Défenseure des droits.
"La question des contrôles d'identité discriminatoires est compliquée car les victimes savent qu'elles n'ont souvent aucune preuve" et n'appellent pas, estime Mme Hédon.
Cela souligne selon elle la nécessité d'une "traçabilité des contrôles", réclamée de longue date par son institution, "pour que les personnes puissent porter réclamation".
"Pas encore assez connue" à son goût, la plateforme n'en touche pas moins un nouveau public qui n'aurait pas pensé à s'adresser au Défenseur des droits. Environ "70% des appels" débouchent sur l'ouverture d'un dossier. Si ce rythme se confirme, les saisines de l'institution en matière de discriminations pourraient doubler pour atteindre 10.000 par an.
Cette hausse montre que la mise en place d'un numéro et du site dédié antidiscriminations.fr "est une très bonne idée", juge le professeur de gestion Jean-François Amadieu.
Selon cet universitaire, directeur de l'Observatoire des discriminations, "cela permet de rééquilibrer la perte de visibilité de la Halde", l'ancienne Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, regroupée en 2011 avec plusieurs autres institutions sous l'ombrelle du Défenseur des droits.
Le spécialiste regrette toutefois que le nouveau site "occulte certains pans de la réalité" en mettant en avant seulement six motifs de discriminations sur la vingtaine existante.
"Ça flèche les choses. En allant sur ce site, des tas de gens discriminés peuvent ne pas savoir qu'ils le sont", estime-t-il. "L'apparence physique n'apparaît pas par exemple, alors que c'est le facteur numéro un de moqueries, notamment pour les personnes obèses victimes de grossophobie."