Les interprètes afghans, cible des talibans après le retrait en septembre

Les forces étrangères laissent derrière elles les Afghans qui ont travaillé comme interprètes, cuisiniers, agents d’entretiens et gardes. (Photo, AFP)
Les forces étrangères laissent derrière elles les Afghans qui ont travaillé comme interprètes, cuisiniers, agents d’entretiens et gardes. (Photo, AFP)
La sécurité des interprètes et de leurs familles devient de plus en plus compromise à mesure que les talibans comblent le vide sur le terrain. (Photo AN/Sayed Salahuddin)
La sécurité des interprètes et de leurs familles devient de plus en plus compromise à mesure que les talibans comblent le vide sur le terrain. (Photo AN/Sayed Salahuddin)
La sécurité des interprètes et de leurs familles devient de plus en plus compromise à mesure que les talibans comblent le vide sur le terrain. (Photo AN/Sayed Salahuddin)
La sécurité des interprètes et de leurs familles devient de plus en plus compromise à mesure que les talibans comblent le vide sur le terrain. (Photo AN/Sayed Salahuddin)
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Publié le Mercredi 16 juin 2021

Les interprètes afghans, cible des talibans après le retrait en septembre

  • Le retrait prévu des troupes américaines et de l'OTAN laissera des milliers d'interprètes et autres employés exposés au danger
  • Le processus de relocalisation dans les pays occidentaux reste compliqué par les règles bureaucratiques comme les lettres de recommandation ainsi que d'autres documents

KABOUL : Au printemps 2013, Tadjik Mohammed profitait de ses vacances dans le petit jardin de sa maison familiale, dans le village luxuriant de Kapisa, lorsqu’il apprend que les talibans ont inscrit son nom sur une liste noire. Son crime? traducteur pour le compte de l'armée américaine. 

Le jeune diplômé est alors contraint de fuir au beau milieu de la nuit à 110 kilomètres au sud de Kaboul, vers la capitale afghane, où il réside depuis. Sa famille l’a suivi après que les talibans aient «lancé un beau jour une grenade» sur leur maison, croyant que Mohammed y habitait encore.

Mohammed, 32 ans, était au service des troupes américaines dans la province agitée de Ghazni, et qui se trouve sur la route principale menant au fief des talibans dans le sud.

Il a par la suite perdu son emploi,  car il n'a pas pu arriver au travail à temps, puisqu’il ne pouvait pas voyager par avion de Kapisa à Ghazni. Il rappelle que s'il avait fait le trajet par voie terrestre, les talibans l'auraient certainement tué.

Comme Mohammed, des milliers d’afghans vivent dans la peur. Au mois d’avril, le président américain Joe Biden a annoncé qu'il compte retirer les quelque 3 500 soldats américains stationnés en Afghanistan d'ici septembre, 20 ans après les attaques d'Al-Qaïda contre New York et Washington, D.C. 

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Des responsables de l'ambassade américaine affirment qu'ils ne peuvent fournir de données en ce qui concerne le pourcentage de demandeurs de visas d'immigration spéciaux rejetés, ni même sur le nombre d'anciens traducteurs et employés qui ont été tués au fil des ans. (Photo, AFP)

Les retraits ont déjà commencé le 1er mai. Les forces américaines sont parties, tout comme leurs alliés de l'OTAN et les milliers de sous-traitants militaires étrangers. Ils laissent derrière eux ces Afghans qui ont travaillé comme traducteurs, cuisiniers, agents d’entretien et gardes. Beaucoup craignent les représailles des talibans.

Les efforts menés par les États-Unis pour réconcilier les talibans et le gouvernement du président afghan Ashraf Ghani à Kaboul lors des pourparlers au Qatar l'année dernière n'ont pas porté leurs fruits.

La semaine dernière, les talibans, un groupe de militants principalement pachtounes, qui ont hébergé Oussama ben Laden et dirigé l'Afghanistan pendant cinq ans jusqu'en 2001, ont annoncé qu'ils ne considèrent plus les anciens employés des forces étrangères comme des «ennemis». Mais ils exigent de les voir exprimer leurs «remords», et estiment qu’ils ne doivent pas utiliser le «danger» comme excuse pour étayer leurs dossiers de «fausse demande d'asile».

Dans le passé, les talibans clamaient haut et fort que les traducteurs afghans doivent être tués. 

«Vous êtes une cible légitime pour les talibans, même si vous n’avez servi qu’un jour aux côtés des forces étrangères. Je n'ai aucune confiance dans (leurs) promesses», affirme Mohammed à Arab News.

«Qui a tué tous ces journalistes et de militants de la société civile ? Les talibans, bien sûr. Mais ils n'en ont pas pris la responsabilité. Nous avons risqué nos vies en travaillant pour les forces étrangères, et maintenant qu'elles partent, il n'y a aucune garantie pour notre avenir et nous sommes à nouveau confrontés aux risques», a-t-il confié.

Mohammed est membre de l'Association the Afghans Left Behind Association (ALBA), un syndicat de deux mille anciens traducteurs et employés. Récemment formée, elle a pour but d’amplifier les voix et les préoccupations de ceux qui affirment qu'ils seront pris pour cible une fois que les forces de l'OTAN partiront. 

La semaine dernière, l'ALBA a organisé son premier rassemblement à grande échelle sous haute sécurité à Kaboul. Un grand nombre d'anciens traducteurs portaient des masques afin de protéger leurs identités. No One Left Behind, une organisation américaine à but non lucratif qui milite pour la relocalisation des interprètes afghans aux États-Unis, explique que, selon les médias américains, plus de 300 traducteurs ou leurs proches ont été tués depuis 2014.

Omid Mahmoodi, un attaché de presse de l'ALBA, indique que les talibans auraient tué au moins un membre du syndicat, nommé Sohail Pardis. L’homme se trouvait au volant de sa voiture dans la province de Khost, dans le sud-est de l'Afghanistan, non loin de la frontière avec le Pakistan.

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Au mois d’avril, le président américain Joe Biden a annoncé qu'il compte retirer les quelque 3 500 soldats américains stationnés en Afghanistan d'ici septembre. (Photo, AFP)

Un autre traducteur confie avoir déménagé à Kaboul de sa province natale de Nangarhar après un appel téléphonique menaçant. Son interlocuteur l’a traité d'«apostat» qui « mérite d'être tué».

Des milliers de personnes ont soumis les demandes de visas d'immigration spéciaux (SIV) qui leur permettraient d'émigrer aux États-Unis. Les candidats retenus doivent prouver qu'ils ont servi dans les forces américaines pendant au moins deux ans, et démontrer qu'ils ont fourni «un service loyal et d’une grande valeur».

Ceci est généralement attesté par les officiers militaires américains sous la forme d'une lettre de recommandation. Les candidats retenus doivent aussi prouver qu'ils ont été menacés. Ceux qui se sont vus refuser des visas, ne peuvent pour la plupart du temps présenter des documents, ou font l'objet de «recommandations désobligeantes».

Les traducteurs ont été les yeux et les oreilles des troupes américaines et les ont accompagnés lors des campagnes militaires contre les talibans ainsi que d’autres militants. Ils ont contribué aux arrestations d'insurgés ainsi qu’aux perquisitions controversées des maisons.

Ils ont également servi de conseillers culturels au sein d’une société très conservatrice, et ont aidé les troupes étrangères à mieux comprendre les sensibilités tribales, ethniques et religieuses, tout en collaborant avec les forces afghanes.

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Mohammed a récemment demandé un visa (SIV) à l'ambassade américaine à Kaboul. Des milliers de traducteurs d'Afghanistan et d'Irak se sont installés en Amérique en utilisant ce processus comme récompense pour avoir aidé les troupes américaines. «La réponse que j'ai reçue par courrier électronique de l'ambassade américaine m'a demandé pourquoi j'ai été licencié, et (a réclamé) mes lettres de recommandation, etc…», a-t-il expliqué.

«Toutefois, les gens avec qui nous avons travaillé dans l'armée américaine sont rentrés chez eux. Ils ont changé d'adresse et même de profession, il est donc difficile pour nous de les joindre, d'obtenir les réponses et de les transmettre à l'ambassade ici», se désole-t-il.

Des responsables de l'ambassade américaine affirment qu'ils ne peuvent fournir de données en ce qui concerne le pourcentage de demandeurs de visas d'immigration spéciaux rejetés, ni même sur le nombre d'anciens traducteurs et employés qui ont été tués au fil des ans

Feraidoon, un ancien traducteur de 28 ans à Ghazni, raconte à Arab News qu'il a vu son visa SIV rejeté en 2015, et qu'il a récemment postulé à nouveau. «L'ambassade américaine affirme que je n'ai pas suffisamment de lettres de recommandation. Nous n'avons aucune confiance dans les talibans et ne voyons aucun engagement de leur part car ils nous considèrent comme des traîtres, des gens qui ont vendu leur patrie et des espions », a-t-il déclaré.

Mohammed Basir, 46 ans, qui a travaillé pendant cinq ans avec les troupes françaises en Kapisa jusqu'en 2013, précise qu'il est apparu dans des conférences de presse télévisées comme interprète. Il est devenu un «visage familier» et craint à présent pour sa vie. «Les talibans ne perdront sans doute pas de temps pour nous décapiter,  s'ils capturent des gens comme moi», a-t-il ajouté.

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Les talibans exigent que ces travailleurs expriment leurs «remords», et estiment qu’ils ne doivent pas utiliser le «danger» comme excuse pour étayer leurs dossiers de «fausse demande d'asile» (Photo fournie)

Plusieurs anciens traducteurs déboutés par l’ambassade américaine dans le passé ont déjà fui l'Afghanistan, selon l'ALBA. 

Akhtar Mohammed Shirzai s'est enfui vers l’Inde en 2013 avec sa famille. Il y vit depuis dans l'espoir de pouvoir s'installer dans un pays de la coalition, car il a servi dans les bureaux des médias de l'OTAN.

Il a demandé un SIV à partir l'Inde en 2016, mais son visa a été rejeté car la lettre de recommandation de ses supérieurs à Kaboul aussi y manquait. Il a de nouveau postulé en mai et attend la réponse avec impatience.

Shrizai a entendu parler l'offre d'amnistie des talibans, mais «personnellement, je n'y crois pas car les talibans ne sont pas homogènes. Il y a différents groupes avec des idéologies et des pensées différentes parmi eux».

À Kaboul, Ayazuddin Hilal, qui a travaillé pour les forces américaines dans de nombreuses régions, souligne que les anciens traducteurs «ne peuvent même pas assister aux mariages ou aux funérailles dans leurs villages, ni dans les zones sécurisées où ils résident. Les habitants de la région les traitent sans égards en raison des services rendus aux forces étrangères».

Hilal mentionne qu'un ami et collègue avait également voulu déménager à Kaboul en raison des menaces à sa sécurité à Nangarhar, mais qu'il a été tué par l'explosion d'une bombe. «J'espère que les politiciens à Washington et dans d'autres capitales prendront une sage décision sur notre sort », a-t-il ajouté.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

 


Le Parlement libanais approuve un projet de loi sur le secret bancaire

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
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  • La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise
  • Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière

BEYROUTH: Le Parlement libanais a approuvé jeudi un projet de loi sur la levée du secret bancaire, une réforme clé réclamée par le Fonds monétaire international (FMI), au moment où des responsables libanais rencontrent à Washington des représentants des institutions financières mondiales.

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri.

La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise imputée à la mauvaise gestion et à la corruption.

La récente guerre entre Israël et le Hezbollah a aggravé la situation et le pays, à court d'argent, a désormais besoin de fonds pour la reconstruction.

Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière.

Ces organismes pourront avoir accès à des informations telles que les noms des clients et les détails de leurs dépôts, et enquêter sur d'éventuelles activités suspectes, selon Legal Agenda.

Le Liban applique depuis longtemps des règles strictes en matière de confidentialité des comptes bancaires, ce qui, selon les critiques, rend le pays vulnérable au blanchiment d'argent.

En adoptant ce texte, le gouvernement avait précisé qu'il s'appliquerait de manière rétroactive pendant 10 ans. Il couvrira donc le début de la crise économique, lorsque les banquiers ont été accusés d'aider certaines personnalités à transférer d'importantes sommes à l'étranger.

Le feu vert du Parlement coïncide avec une visite à Washington des ministres des Finances, Yassine Jaber, et de l'Economie, Amer Bisat, ainsi que du nouveau gouverneur de la Banque centrale, Karim Souaid, pour des réunions avec la Banque mondiale et le FMI.

M. Jaber a estimé cette semaine que l'adoption des amendements donnerait un "coup de pouce" à la délégation libanaise.

En avril 2022, le Liban et le FMI ont conclu un accord sous conditions pour un programme de prêt sur 46 mois de trois milliards de dollars, mais les réformes alors exigées n'ont pour la plupart pas été entreprises.

En février, le FMI s'est dit ouvert à un nouvel accord avec Beyrouth après des discussions avec M. Jaber. Le nouveau gouvernement libanais s'est engagé à mettre en oeuvre d'autres réformes et a également approuvé le 12 avril un projet de loi pour restructurer le secteur bancaire.


Syrie: Londres lève ses sanctions contre les ministères de la Défense et de l'Intérieur

Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
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  • "Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor
  • Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier

LONDRES: Le Royaume-Uni a annoncé jeudi avoir levé ses sanctions contre les ministères syriens de l'Intérieur et de la Défense ainsi que contre des agences de renseignement, qui avaient été imposées sous le régime de Bachar al-Assad.

"Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor.

Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier.

Ces autorités, issues de groupes rebelles islamistes, ont pris le pouvoir le 8 décembre.

Le Royaume-Uni avait début mars déjà levé des sanctions à l'égard de 24 entités syriennes ou liées à la Syrie, dont la Banque centrale.

Plus de trois cents individus restent toutefois soumis à des gels d'avoirs dans ce cadre, ainsi qu'une quarantaine d'entités, selon le communiqué du Trésor.

Les nouvelles autorités syriennes appellent depuis la chute d'Assad en décembre dernier à une levée totale des sanctions pour relancer l'économie et reconstruire le pays, ravagé après 14 années de guerre civile.


1983 – L'attaque contre les Marines américains à Beyrouth

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  • Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines
  • Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang

BEYROUTH: Le 23 octobre 1983, aux alentours de 6h25, une violente déflagration secoue Beyrouth et sa banlieue, jusque dans les hauteurs montagneuses. Le souffle, sourd et diffus, fait d’abord penser à un tremblement de terre.

Mais sept minutes plus tard, une seconde explosion, bien plus puissante, déchire la ville et ses environs, dissipant toute confusion: Beyrouth venait de vivre l’un des attentats les plus meurtriers de son histoire.

Je travaillais alors pour le journal libanais As-Safir en tant que correspondant de guerre. Beyrouth était assiégée, dans sa banlieue sud, dans les montagnes et dans la région du Kharoub, par des affrontements entre le Parti socialiste progressiste et ses alliés d'une part, et les Forces libanaises d'autre part, dans ce que l'on appelait la «guerre des montagnes».

Le sud du pays a également été le théâtre de la résistance armée des combattants libanais contre l'occupation israélienne. Ces combattants étaient liés à des partis de gauche et, auparavant, à des factions palestiniennes.

Des forces multinationales, notamment américaines, françaises et italiennes, avaient été stationnées à Beyrouth après le retrait des dirigeants et des forces de l'Organisation de libération de la Palestine, à la suite de l'agression israélienne contre le Liban et de l'occupation de Beyrouth en 1982.

Quelques minutes après les explosions, la réalité s’impose avec brutalité: le quartier général des Marines américains, situé sur la route de l’aéroport de Beyrouth, ainsi que la base du contingent français dans le quartier de Jnah, ont été ciblés par deux attaques-suicides coordonnées.

Les assaillants, non identifiés, ont lancé des camions piégés – chargés de plusieurs tonnes d’explosifs – contre les deux sites pourtant fortement sécurisés, provoquant un carnage sans précédent.

Comment nous l'avons écrit

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Au lendemain des attentats, Arab News faisait état de 120 morts parmi les Marines et de 20 morts parmi les Français, un chiffre nettement inférieur au décompte final.

L'attaque de la base américaine a tué 241 militaires américains – 220 Marines, 18 marins et trois soldats – et en a blessé des dizaines. Le bombardement du site militaire français a tué 58 parachutistes français et plus de 25 Libanais.

Ces attentats étaient les deuxièmes du genre à Beyrouth; un kamikaze avait pris pour cible l'ambassade des États-Unis à Aïn el-Mreisseh six mois plus tôt, le 18 avril, tuant 63 personnes, dont 17 Américains et 35 Libanais.

Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines. Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang, des morceaux de corps et de la confusion. Voici ce que nous, journalistes, avons pu voir au milieu du chaos qui régnait immédiatement après la catastrophe, et ce qui reste gravé dans ma mémoire plus de 40 ans plus tard.

La nuit précédente, un samedi, les Marines avaient fait la fête, divertis par un groupe de musique qui avait fait le voyage depuis les États-Unis pour se produire devant eux. La plupart dormaient encore lorsque la bombe a explosé.

Aucun groupe n'a revendiqué les attentats ce jour-là, mais quelques jours plus tard, As-Safir a publié une déclaration qu'il avait reçue et dans laquelle le «Mouvement de la révolution islamique» déclare en être responsable.

Environ 48 heures après l’attentat, les autorités américaines pointent du doigt le mouvement Amal, ainsi qu’une faction dissidente dirigée par Hussein al-Moussawi, connue sous le nom d’Amal islamique, comme étant à l’origine de l’attaque.

Selon la presse locale de l’époque, la planification de l’attentat aurait eu lieu à Baalbeck, dans la région de la Békaa, tandis que le camion utilisé aurait été aperçu garé devant l’un des bureaux du mouvement Amal.

Le vice-président américain, George H.W. Bush, s'est rendu au Liban le lendemain de l'attentat et a déclaré: «Nous ne permettrons pas au terrorisme de dicter ou de modifier notre politique étrangère.»

La Syrie, l'Iran et le mouvement Amal ont nié toute implication dans les deux attentats.

En riposte à l’attaque visant leurs soldats, les autorités françaises ont lancé une opération militaire d’envergure: huit avions de chasse ont bombardé la caserne Cheikh Abdallah à Baalbeck, que Paris considérait comme un bastion de présences iraniennes.

À l’époque, les autorités françaises ont affirmé que les frappes avaient fait environ 200 morts.

Un responsable de l'Amal islamique a nié que l'Iran disposait d'un complexe dans la région de Baalbeck. Toutefois, il a reconnu le lien idéologique fort unissant son groupe à Téhéran, déclarant: «L’association de notre mouvement avec la révolution islamique en Iran est celle d’un peuple avec son guide. Et nous nous défendons.»

Le 23 novembre, le cabinet libanais a décidé de rompre les relations avec l'Iran et la Libye. Le ministre libanais des Affaires étrangères, Elie Salem, a déclaré que la décision «a été prise après que l'Iran et la Libye ont admis qu'ils avaient des forces dans la Békaa».

Un rapport d'As-Safir cite une source diplomatique: «Les relations avec l'Iran se sont détériorées en raison des interventions, pratiques et activités illégales qu'il a menées sur la scène libanaise, malgré de nombreux avertissements.»

Les attentats du 23 octobre étaient jusqu'alors le signe le plus évident de l'évolution de l'équilibre des forces régionales et internationales au Liban et de l'émergence d'un rôle iranien de plus en plus important dans la guerre civile.

Le chercheur Walid Noueihed m'a expliqué qu'avant 1982, Beyrouth avait accueilli toutes les formes d'opposition, y compris l'élite éduquée, appelée «opposition de velours», et l'opposition armée, dont les membres étaient formés dans des camps ou des centres d'entraînement palestiniens dans la vallée de la Békaa et au Liban-Sud.

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Vue aérienne de l'ambassade américaine à Beyrouth après l'explosion qui a fait 63 morts, dont 46 Libanais et 17 Américains. (AFP)

Il a indiqué que l'opposition iranienne au chah était présente parmi ces groupes et a décrit Beyrouth comme une oasis pour les mouvements d'opposition jusqu'en 1982. Toutefois, cette dynamique a changé lorsqu'Israël a envahi le Liban et assiégé Beyrouth, ce qui a entraîné le départ de l'OLP en vertu d'un accord international qui exigeait en échange qu'Israël s'abstienne de pénétrer dans Beyrouth.

Si les factions palestiniennes ont quitté le Liban, ce n'est pas le cas des combattants libanais associés à l'OLP, pour la plupart des chiites qui constituaient la base des partis de gauche libanais.

Les attaques contre les bases militaires américaines et françaises ont entraîné le retrait des forces internationales du Liban, explique M. Noueihed, laissant une fois de plus Beyrouth sans protection. Les opérations de résistance se sont multipliées, influencées par des idéologies distinctes de celles de la gauche traditionnelle, des groupes comme l'Amal islamique affichant ouvertement des slogans prônant la confrontation avec Israël.

En 1985, le Hezbollah est officiellement créé en tant qu'«organisation djihadiste menant une révolution pour une république islamique». Il s'est attiré le soutien des partis de gauche libanais et palestiniens, en particulier après l'effondrement de l'Union soviétique.

Selon M. Noueihed, l'émergence du Hezbollah a coïncidé avec le déclin des symboles existants de la résistance nationale, ce qui semble indiquer une intention d'exclure toutes les autres forces du pays du mouvement de résistance, laissant le Hezbollah comme parti dominant.

L'influence iranienne au Liban est devenue évidente lors des violents affrontements entre le Hezbollah et Amal, qui ont fait des dizaines de victimes et se sont terminés par la consolidation du contrôle du Hezbollah au milieu de la présence des forces militaires syriennes.

Beyrouth se vide peu à peu de son élite intellectuelle, a souligné M. Noueihed. Des centaines d’écrivains, d’intellectuels, de chercheurs et de professionnels des médias ont fui vers l’Europe, redoutant pour leur sécurité, laissant derrière eux une ville désertée par ceux qui faisaient autrefois vibrer sa vie culturelle et académique.

Najia Houssari est rédactrice pour Arab News, basée à Beyrouth. Elle était correspondante de guerre pour le journal libanais As-Safir au moment du bombardement de la caserne des Marines américains.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com