PARIS: Cinq mois après l'onde de choc provoquée par les accusations d'inceste contre Olivier Duhamel, la justice a annoncé lundi que les faits, vieux de 30 ans, étaient prescrits et ne pouvaient faire l'objet de poursuites, même si le politologue avait reconnu avoir agressé sexuellement son beau-fils "Victor" Kouchner.
"Le parquet de Paris a procédé ce jour au classement sans suite de la procédure en raison de la prescription de l'action publique", a annoncé dans un communiqué le procureur de Paris, Rémy Heitz, au terme de l'enquête ouverte en janvier pour "viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité sur mineur de 15 ans".
"Ce motif de classement est retenu lorsque les faits révélés ou dénoncés dans la procédure constituent une infraction qui aurait donné lieu à poursuites de la part du parquet si le délai fixé par la loi n'était pas dépassé", justifie le magistrat, sous-entendant que les investigations ont étayé les accusations contre le célèbre politologue et ancien eurodéputé.
Contactées par l'AFP, Me Frédérique Baulieu n'a pas souhaité réagir et l'avocate des enfants Kouchner n'était pas disponible dans l'immédiat.
La décision, qui s'inscrit dans un vif débat au sein de la société sur la question de la prescription, était prévisible depuis la publication en janvier du livre événement "La Famiglia Grande", récit autobiographique dans lequel Camille Kouchner a révélé les agressions sexuelles subies par son frère "Victor" à la fin des années 1980. A l'époque, la loi prévoyait qu'une victime mineure pouvait porter plainte pour "viol par ascendant" pendant dix ans à compter de sa majorité.
Deux lois ont allongé depuis ce délai de prescription, portés à vingt ans en 2004 puis trente ans en 2018. Mais elles ne sont pas applicables aux infractions qui étaient prescrits lorsque la nouvelle législation a été promulguée.
De nombreuses voix du monde politique ou associatifs s'élèvent régulièrement pour réclamer "l'imprescriptibilité" de ces crimes, au même titre que les crimes contre l'humanité. A l'inverse, des avocats et des magistrats défendent la prescription en invoquant, entre autres, la difficulté à établir les faits trop anciens ou l'importance pour la société d'une "loi de l'oubli".
Le 26 février, le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, avait demandé aux parquetiers de communiquer leur décision finale dans les cas d'accusations ayant été médiatisées et de bien spécifier si le classement sans suite était uniquement causé par la règle de prescription ou par une insuffisance de preuves.
Libération de la parole
"Victor" - fils de l'ancien ministre Bernard Kouchner et de la professeure de droit Evelyne Pisier remariée avec Olivier Duhamel (décédée en 2017) - avait été interrogé dans une première procédure ouverte en 2011. Il avait refusé de déposer plainte pour ces faits déjà probablement prescrits.
Aujourd'hui âgé d'environ 45 ans, "Victor" avait été entendu par les nouveaux enquêteurs le 21 janvier et s'était résolu à déposer plainte.
M. Duhamel, 71 ans, avait été entendu comme suspect libre le 13 avril par la Brigade de protection des mineurs (BPM) et avait reconnu "difficilement" les faits d'inceste, selon une source proche du dossier.
Camille et Bernard Kouchner ont également été entendus par la brigade des mineurs, tout comme la fille et le fils qu'Olivier Duhamel et Evelyne Pisier avaient adoptés dans les années 1980.
Après les révélations, Olivier Duhamel avait d'abord dénoncé des "attaques personnelles" et démissionné de l'ensemble de ses fonctions, à la présidence de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) ou du club d'influence "Le Siècle". Il a aussi arrêté ses émissions sur LCI ou Europe 1.
Des proches du couple Duhamel-Pisier, accusés d'avoir gardé le silence, ont été pris dans le scandale, comme Frédéric Mion qui a démissionné de son poste de directeur de Sciences Po Paris, ou l'ancienne ministre socialiste, Elisabeth Guigou, qui a renoncé à présider la commission indépendante sur l'inceste.
La publication du livre a aussi suscité une libération de la parole avec de nombreux témoignages sur l'inceste, notamment sur les réseaux sociaux. La fille de l'acteur Richard Berry avait invoqué l'exemple de Camille Kouchner parmi les raisons ayant motivé la plainte pour "viols" déposée contre son père en janvier.