ALGER : L'Algérie attend le résultat des élections législatives anticipées de samedi, marquées par un très fort taux d'abstention, nouveau signe de désintérêt de la population, après le boycott du scrutin par le mouvement contestataire du Hirak et une partie de l'opposition.
Enjeu principal, le taux de participation national provisoire n'a atteint que 30,20%, selon le président de l'Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), Mohamed Chorfi.
A titre de comparaison, il se situait à 35,70% lors des dernières législatives de 2017 et à 42,90% en 2012. La participation est aussi en recul par rapport à la présidentielle de 2019, qui avait vu Abdelmadjid Tebboune élu avec seulement 40% des voix.
Le taux de participation à l'étranger est également très bas, de moins de 5%, a précisé M. Chorfi.
Comme lors des précédents scrutins, l'abstention est quasi totale dans des préfectures de Kabylie (nord-est), à Béjaïa, Bouira et Tizi Ouzou, où la participation est inférieure à 1%.
"Raz-de-marée abstentionniste", titre ainsi Liberté en Une. "Comme attendu, les Algériens ont majoritairement boudé les urnes. Le faible taux de participation confirme la tendance lourde au rejet du scrutin", estime le quotidien francophone.
Mais quoi qu'il arrive, le pouvoir s'en accommodera.
«Légitimité suffisante»
"Pour moi, le taux de participation n'a pas d'importance. Ce qui m'importe, c'est que ceux pour lesquels le peuple vote aient une légitimité suffisante", a d'ores et déjà affirmé le président Abdelmadjid Tebboune.
La composition de la prochaine assemblée pourrait être connue dans ses grandes lignes dimanche mais, en raison du dépouillement "compliqué", les résultats officiels pourraient ne pas être annoncés avant 96 heures, a précisé le président de l'ANIE.
Les opérations de vote se sont déroulées généralement dans le calme à Alger, où les électeurs se sont fait rares, et en province, sauf en Kabylie.
Dans cette région berbérophone, traditionnellement frondeuse, la plupart des bureaux de vote étaient fermés et des échauffourées ont éclaté dans plusieurs communes, avec saccage des urnes, selon la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme et le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), qui ont fait état de dizaines d'interpellations.
Avant les élections, le Hirak, qui réclame en vain un changement radical du "système" de gouvernance en place depuis l'indépendance (1962), avait dénoncé une "mascarade électorale" et "une fuite en avant" du régime. L'opposition laïque et de gauche, elle, a boycotté le scrutin.
Qu'importe, le pouvoir est déterminé à imposer sa "feuille de route" électoraliste, en ignorant les revendications du Hirak: Etat de droit, transition démocratique, souveraineté populaire, justice indépendante.
- Indépendants et islamistes -
Quelque 24 millions d'Algériens étaient appelés à élire les 407 députés de l'Assemblée populaire nationale pour cinq ans. Ils devaient choisir parmi 2.288 listes, dont plus de 1.200 s'affichent comme "indépendantes".
C'est la première fois qu'un nombre aussi élevé d'indépendants se présentent face à des prétendants endossés par des partis largement discrédités et jugés responsables de la crise dans le pays.
Ils devraient être les bénéficiaires du scrutin, avec les partis islamistes modérés qui ont choisi d'y prendre part et se disent "prêts à gouverner".
Les vainqueurs des précédentes législatives en 2017, le Front de libération nationale et le Rassemblement national démocratique, associés à l'ère Bouteflika, sont aujourd'hui déconsidérés.
Avant le scrutin, le chef d'état-major, le général Saïd Chengriha, avait mis en garde contre "tout plan ou action visant à perturber le déroulement" du vote.
Le régime s'est efforcé ces derniers mois d'étouffer la contestation, interdisant les manifestations et multipliant les interpellations et les poursuites judiciaires visant opposants, militants, journalistes et avocats.
Quelque 222 personnes sont actuellement incarcérées pour des faits en lien avec le Hirak et/ou les libertés individuelles, selon le CNLD.
Estimant avoir déjà répondu aux demandes du Hirak, le pouvoir dénie depuis plusieurs mois toute légitimité à ce mouvement sans véritables leaders, qu'il accuse d'être instrumentalisé par des "parties étrangères".
Il s'agit des premières législatives depuis le soulèvement populaire inédit et pacifique, né le 22 février 2019 du rejet d'un 5e mandat du président Abdelaziz Bouteflika, poussé près de deux mois plus tard à la démission après 20 ans de règne.