PARIS :"On a rongé notre frein", concède Frédéric Dorin: le patron du café-restaurant Les Editeurs à Paris a dû se résigner à repousser au 9 juin la réouverture de son établissement, faute de terrasse suffisamment grande pour profiter de la première phase du déconfinement, le 19 mai.
"C'était un peu cruel de voir ses voisins retravailler, nous sommes du mauvais côté", regrette M. Dorin, dont le restaurant "tourné vers l'intérieur" est établi sur la partie la plus étroite du carrefour de l'Odéon, dans le VIe arrondissement de la capitale.
Il y a trois semaines, les restaurants et cafés ont pu accueillir des clients pour la première fois depuis le 29 octobre, en extérieur... Mais encore fallait-il avoir des terrasses adaptées.
"Le trottoir est petit, il y a une piste cyclable, un passage de bus", énumère le patron des Editeurs, 65 ans, qui a jugé qu'avec seulement 20 places en terrasse, "sans possibilité d'extension", il n'aurait pas été rentable de rouvrir le 19 mai.
Mais l'heure est enfin aux préparatifs pour les 35 salariés de ce café-restaurant littéraire et de ses 200 places assises, ouvert en temps normal "7 jours sur 7, 365 jours par an".
"On est passé d'une vie à 200 à l'heure au canapé toute la journée à la maison", se remémore Jean-Philippe, maître d'hôtel, plus habitué aux services de 12 heures qu'à "regarder des séries assis chez soi".
"Il faut remettre la machine en route, réapprendre le numéro des tables", ajoute en plein ménage Cyril, chef de rang.
A deux jours de la réouverture, l'équipe s'affaire à un grand nettoyage de printemps: depuis la terrasse et ses chaises en cannage noir et blanc, encore empilées sous la tonnelle, jusqu'aux poussières entre les livres de la bibliothèque à l'étage.
"Les salariés reprennent possession de leur outil de travail et on remet la salle en ordre", précise le patron.
En cuisine, la légumerie et l'économat ont repris des couleurs. La livraison des produits frais a été réceptionnée le matin même, avant d'être stockée au sous-sol dans les réfrigérateurs restés vides pendant plus de sept mois.
Entre deux préparations, le chef cuisinier Julien Deleury, 14 ans de métier dans l'établissement, trépigne d'impatience. "On a attaqué ce matin, c'est du bonheur", s'enthousiasme-t-il, "content de redonner vie à la cuisine" et de retrouver son équipe de cinq personnes.
« L'odeur a changé »
A quelques centaines de mètres, la réouverture mercredi des salles en demi-jauge est attendue "avec impatience" par le chef japonais Kazuyuki Fujinuma.
Lorsqu'il entre dans son restaurant après sept mois de fermeture, ce chef cuisinier de 51 ans peine à trouver la lumière pour éclairer la salle principale.
"Ça fait longtemps (...) et l'odeur à changé, c'est l'humidité", constate-t-il.
Situé dans une ruelle du Ve arrondissement à quelques encablures de la Seine, son restaurant L'Initial, ouvert en 2015, est resté dans son jus depuis la fermeture consécutive au deuxième confinement.
"La terrasse, c'était impossible pour nous, la rue est trop petite" explique-t-il avec philosophie à l'AFP. "J’attends depuis déjà sept mois, je peux encore attendre trois semaines", ajoute M. Fujinuma en nettoyant la cuisine.
Après le sol et la vaisselle, son équipe de deux associés doit s'activer pour "remettre en place" l'établissement avant l'achat de la marchandise.
Avec une trentaine de places assises en temps normal, le cuisinier est inquiet pour la réouverture du restaurant, malgré une quinzaine de réservations pour le week-end à venir.
"J'ai peur parce que pendant sept mois on n'a rien acheté, maintenant on a besoin d'investir dans des produits frais, sans savoir si les clients reviendront", s'alarme le restaurateur, qui dépend pour un tiers de la clientèle étrangère.
"Avant le soir, c'était complet" se souvient-il, impatient de rouvrir entièrement sa salle à la fin du mois.