WASHINGTON: G7, Otan, UE, puis Vladimir Poutine: le président américain Joe Biden s'envole mercredi pour l'Europe avec un double objectif affiché: rassurer les alliés et adresser une mise en garde à la Russie.
La symbolique est forte: pour son premier déplacement à l'étranger, le 46e président des Etas-Unis, 78 ans, a choisi de mettre à l'honneur les liens transatlantiques, soumis à rude épreuve sous la présidence Trump.
"Mon voyage en Europe est l'occasion pour l'Amérique de mobiliser les démocraties du monde entier", a-t-il écrit, se posant en acteur central de ce qu'il présente comme un bras de fer idéologique face aux "autocraties", Chine en tête.
Biden/Poutine: six mois d'échanges mordants
Joe Biden, qui rencontrera Vladimir Poutine le 16 juin à Genève, affiche depuis son élection une grande fermeté vis-à-vis de son homologue russe, donnant lieu à des échanges mordants.
«Rhétorique très agressive»
"J'ai clairement dit au président Poutine, d'une façon très différente de mon prédécesseur (Donald Trump, ndlr), que le temps où les Etats-Unis se soumettaient aux actes agressifs de la Russie (...) était révolu", avertit Joe Biden le 5 février.
Il cite l'interférence russe dans les élections américaines, les cyberattaques ou encore "l'empoisonnement de citoyens", en référence à l'opposant politique Alexeï Navalny.
"Nous n'hésiterons pas à faire payer à la Russie un coût plus élevé et à défendre nos intérêts".
Le lendemain, le porte-parole de la présidence russe réplique: "C'est une rhétorique très agressive et pas constructive, nous le regrettons".
Poutine est un «tueur»
Lors d'un entretien télévisé, Joe Biden provoque la première crise diplomatique de son mandat.
- "Pensez-vous que (Vladimir Poutine) est un tueur?, lui demande le journaliste.
- Oui, je le pense", répond-il, sans préciser s'il fait référence à Alexeï Navalny. "Vous verrez bientôt le prix qu'il va payer".
Interrogé sur les ingérences électorales de Moscou en 2016 et en 2020, il répète que Vladimir Poutine "en paierait les conséquences".
"Nous avons eu une longue conversation lui et moi, je le connais assez bien, explique le dirigeant démocrate. (...) Je lui ai dit: +Je vous connais et vous me connaissez, si j'en viens à la conclusion que vous avez fait cela, soyez prêt" pour les conséquences.
Moscou rappelle son ambassadeur aux Etats-Unis.
«Celui qui le dit qui l'est»
Le lendemain, Vladimir Poutine rétorque par la moquerie: "C'est celui qui le dit qui l'est! Ce n'est pas juste une expression enfantine, une blague (...), nous voyons toujours en l'autre nos propres caractéristiques".
"Nous défendrons nos propres intérêts et nous travaillerons avec (les Américains) aux conditions qui nous seront avantageuses".
Il propose une "discussion" diffusée en direct: "cela serait intéressant pour le peuple russe, le peuple américain et pour beaucoup d'autres pays".
Silence américain.
"C'est encore une occasion gâchée pour sortir de l'impasse des relations russo-américaines qui existe par la faute de Washington", déplore Moscou.
«Le moment de la désescalade est venu»
Le 15 avril, Joe Biden signe des sanctions contre la Russie "si elle continue d'interférer dans notre démocratie", en référence à la gigantesque cyberattaque de 2020.
Ces sanctions, les plus dures depuis Barack Obama, s'ajoutent à des mesures prises en mars après l'affaire Navalny.
"Le moment de la désescalade est venu", lance-t-il en proposant un sommet bilatéral "cet été en Europe" pour "lancer un dialogue stratégique sur la stabilité" en matière de désarmement et de sécurité.
«Je l'espère et j'y crois»
Le 4 mai, Joe Biden répète espérer rencontrer son homologue. "Je l'espère et j'y crois. Nous y travaillons".
Mi-avril, il avait proposé une rencontre. Vladimir Poutine avait laissé ses porte-parole répondre, le Kremlin assurant que des "dates concrètes" étaient à l'étude.
«Ils violent les droits»
"Je vais rencontrer le président Poutine dans deux semaines à Genève, annonce Joe Biden le 30 mai. Et je dirai clairement que nous ne resterons pas les bras croisés pendant qu'ils violent les droits (humains)".
"Nous ne nous faisons pas d'illusions et nous n'essayons pas de donner l'impression qu'il y aura une percée, des décisions historiques amenant des changements fondamentaux", rétorque le 1er juin, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov.
Depuis son arrivée à la Maison Blanche, il martèle que les Etats-Unis sont de retour à la table du multilatéralisme, déterminés à jouer un rôle-clé, de la lutte contre la pandémie de Covid-19 à celle contre le changement climatique.
Mais au-delà d'un soulagement réel après les secousses et les invectives des années Trump, une forme d'impatience est perceptible du côté européen.
Pour Benjamin Haddad, du centre de réflexion Atlantic Council, si la tonalité est nettement plus constructive, une certaine "déception" est palpable.
"On parle beaucoup de "America is back", il y a une rhétorique positive, mais maintenant il faut passer aux actes", explique-t-il.
La distribution de vaccins américains à d'autres pays a, pour beaucoup, trop tardé à se mettre en place. L'absence de réciprocité de Washington après la décision de l'Union européenne de rouvrir ses portes aux voyageurs américains a fait grincer des dents. Et la façon dont le retrait d'Afghanistan a été annoncé, sans véritables consultations préalables, n'a pas été appréciée dans les capitales européennes.
Des éléments conjoncturels liés aux priorités de début de mandat expliquent cette situation. Mais les raisons sont également plus profondes. "Fondamentalement, l'Europe est beaucoup moins centrale pour la politique étrangère américaine qu’elle ne l'était il y a 20 ou 30 ans", rappelle le chercheur français.
Les «doutes» des alliés
Par ailleurs, le mandat du tempétueux milliardaire, qui avait, entre autres, qualifié l'Otan d'"obsolète", a laissé des traces.
"Les alliés ont toujours des doutes, et gardent à l'esprit les forces qui ont porté Trump au pouvoir en 2016", explique le diplomate américain Alexander Vershbow, ancien numéro 2 de l'Alliance atlantique.
Attendu mercredi soir en Cornouailles, dans le sud-ouest de l'Angleterre, Joe Biden y participera au sommet du G7 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni) après un face-à-face avec le Premier ministre britannique Boris Johnson.
Dimanche, en compagnie de la Première dame Jill Biden, il rendra visite à la reine Elizabeth II au château de Windsor.
A l'exception de Lyndon B. Johnson, la monarque aura rencontré tous les présidents américains en fonctions au cours de ses 69 ans de règne.
Joe Biden s'envolera ensuite à bord d'Air Force One pour Bruxelles (sommet des leaders de l'Otan puis sommet UE/Etats-Unis), avant d'achever son périple de huit jours à Genève avec un sommet très attendu avec Vladimir Poutine.
Ukraine, Bélarus, sort de l'opposant russe emprisonné Alexeï Navalny, cyberattaques: les discussions s'annoncent âpres et difficiles.
La Maison Blanche, qui alterne messages conciliants et mises en garde, martèle qu'elle a des attentes modestes. Seul objectif avancé: rendre les relations entre les deux pays plus "stables et prévisibles".
Le souvenir d'Helsinki
La présidence américaine a donné très peu de détails sur le déroulement de ce tête-à-tête, laissant seulement entendre qu'une conférence de presse commune des deux hommes n'était pas à l'ordre du jour.
Celle qui avait eu lieu entre Donald Trump et Vladimir Poutine à Helsinki en juillet 2018 est encore dans tous les esprits à Washington.
Dans un étrange exercice, qui avait suscité un tollé jusque dans son camp, le tempétueux président avait semblé accorder plus de valeur aux propos à l'ancien homme fort du KGB qu'aux conclusions unanimes des agences de renseignement américaines sur l'ingérence russe dans la campagne présidentielle de 2016.
L'équipe Biden assure que le ton sera cette fois-ci très différent.
"Nous ne voyons pas une rencontre avec le président russe comme une récompense pour ce dernier", souligne Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale. La raison principale de ce sommet? "Pouvoir regarder le président Poutine dans les yeux et lui dire: voici les attentes américaines".
"Le dialogue avec la Russie n'est pas un signe de faiblesse", a martelé le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg à l'issue d'une rencontre lundi dans le Bureau ovale avec le président américain.
Et dans une séquence soigneusement chorégraphiée, deux jours avant de quitter Washington, Joe Biden a invité son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky à lui rendre visite à la Maison Blanche au cours de l'été.
Pour la ville de Genève, la rencontre aura une saveur particulière: en 1985, elle avait accueilli un sommet entre le président américain Ronald Reagan et le dirigeant soviétique Mikhail Gorbachev.