QSAYBEH, LIBAN : Dans son village accroché au flanc de la montagne libanaise, Elias Naïmeh récoltait chaque année 16 tonnes de pommes de pin. Aujourd'hui, sa production s'est effondrée à cause d'une "punaise américaine", redoutable insecte d'à peine quelques millimètres qui ronge les conifères.
Si le cèdre millénaire est le symbole du Liban, le petit pays coincé entre montagne et Méditerranée compte de vastes forêts de pins qui représentent environ 10% de ses surfaces boisées.
Dans un Liban réputé pour sa gastronomie raffinée, on retrouve les pignons de pin dans les plats et desserts traditionnels. Cet "or blanc", comme il est surnommé localement, est une manne financière pour les producteurs, grâce notamment aux exportations.
Mais dans sa pinède tranquille du Mont-Liban, près du village de Qsaybeh à l'est de Beyrouth, M. Naïmeh ausculte d'un air désolé ses conifères majestueux: des arbres sont dévorés par l'insecte. Les dégâts se voient à l'oeil nu.
Ici, un tronc et des branches desséchés. Plus loin, un arbre a perdu ses cônes, flétris et tombés au sol avant d'être arrivés à maturité.
"Ma production personnelle était de 16 tonnes de pommes de pin. Aujourd'hui elle dépasse à peine les 100 kg" par an, regrette le producteur.
Avant l'apparition de la punaise, il récoltait chaque année environ 600 kg de pignons de pins, de quoi lui assurer un revenu confortable d'un peu plus de 40.000 dollars (environ 33.000 euros).
Découverte sur le continent américain, l'espèce invasive a migré vers l'Europe avant d'être vue en Turquie en 2010. Cinq ans plus tard, on constatait sa présence au Liban, même si les producteurs enregistraient déjà des récoltes en baisse depuis quelques années.
Réchauffement climatique
Selon l'entomologiste forestier Nabil Nemer, l'insecte est présent dans toutes les forêts de conifères du Liban, mais l'impact est particulièrement dévastateur pour le pin et ses cônes fructifères.
"On remarque parfois plus de dix insectes sur un seul cône", raconte-t-il.
Résultat: le cône voit les graines qu'il contient être dévorées, perdant parfois jusqu'à 90% de ses pignons, et n'est plus qu'une coquille vide.
"Les températures élevées et la baisse des précipitations contribuent à modifier le cycle de vie des insectes et affaiblissent les arbres", affirme l'expert.
En attendant l'apparition d'"ennemis naturels" qui pourraient dévorer ou chasser l'insecte -- d'ici 10 à 20 ans selon M. Nemer -- la seule arme reste l'utilisation d'insecticides.
De quoi apporter un léger répit, confirme M. Naïmeh, qui dirige le syndicat des pinèdes. "La production s'est améliorée pour la saison 2016-2017", se souvient-il, le pourcentage de cônes flétris passant alors de 85% à 30%.
Mais dans un pays en plein effondrement, où les citoyens fustigent le désengagement de l'Etat, l'agriculture n'échappe pas aux manquements.
Impossible donc de pulvériser annuellement des insecticides dans toutes les pinèdes, d'autant qu'il faudrait aussi abattre les arbres morts pour empêcher les insectes de sauter vers les conifères voisins.
"Aujourd'hui, il n'y a pas plus de 200 tonnes" de pignons de pins récoltées au Liban, déplore M. Naïmeh qui réclame une mobilisation des autorités. Naguère, la production atteignait les 1.200 tonnes, soit 120 à 130 millions de dollars de revenus annuels pour le secteur.
Avec la dépréciation de la monnaie, le prix du kilo de pignons de pin a explosé et représente désormais près du double du salaire minimum, tandis que l'érosion du pouvoir d'achat limite la consommation sur le marché local.
"Abandonner les forêts"
Le village de Bkassine, dans le sud, se targue d'avoir la plus grande forêt de pins de tout le Moyen-Orient, avec 100 000 arbres plantés sur environ 220 hectares.
Certains pins font plus de 40 mètres de haut. Ici aussi sévit la punaise américaine. Tout comme le Tomicus piniperda, un coléoptère qui prolifère en suçant la moelle des arbres sous l'écorce, avant de s'attaquer aux bourgeons.
"La dernière production d'envergure remonte à 2013", se souvient Habib Fares, chef de la municipalité, évoquant depuis une chute d'environ 70% en raison des insectes.
Faute de financement suffisant, une section différente de la forêt reçoit chaque année des insecticides, quand il faudrait traiter l'ensemble des arbres.
Si le ministère de l'Agriculture participe aux campagnes de pulvérisation et à l'entretien des forêts, ce soutien a diminué avec la crise économique.
"L'ampleur du phénomène dépasse nos capacités", déplore M. Fares, interpellant les donateurs internationaux.
Dans un pays en faillite, M. Nemer note que les forêts peuvent participer à la solution pour "les sociétés locales, (qui) vivent en principe de ces cultures".
Mais, déplore-t-il, "si ça continue comme ça, elles pourraient abandonner leurs forêts".