BEYROUTH : Riad Salamé, le gouverneur de la Banque centrale du Liban, a déclaré jeudi que les déposants peuvent de nouveau retirer des sommes de leurs dépôts en dollars en livres libanaises à un taux deux fois et demie meilleur que le taux officiel.
La décision renverse un jugement antérieur et survient au lendemain d’un mouvement de panique qui a vu les déposants effarés s’aligner devant les guichets automatiques pour retirer autant d’argent que possible, avant que la suspension du taux préférentiel n’entre en vigueur.
La livre, indexée depuis 30 ans à 1 515 le dollar, se négocie désormais à environ 13 000 livres pour un dollar, selon l'Associated Press.
Salamé a annulé la décision moins de 12 heures après que les banques aient commencé à mettre en œuvre la nouvelle directive du Conseil de l'État.
Incapables d’effectuer un retrait, les Libanais en colère sont descendus dans les rues mercredi soir et ont détruit des guichets automatiques à travers le pays
L'arrêt de ce service affecte les grands et petits déposants, qui comptent sur un accès mensuel limité à leurs dépôts en dollars pour subvenir à leurs besoins quotidiens ou récupérer des fonds bloqués, même si, en réalité, ils retirent leur argent en livres et à un taux très désavantageux.
Jeudi matin, le président Michel Aoun a rencontré Salamé et le chef du Conseil de l’État, le juge Fadi Elias. À l'issue de la réunion, Salamé a déclaré que «la décision reflète notre grand respect pour le Conseil de la Choura et la justice libanaise».
«Le juge Elias nous a expliqué qu'il est possible de ne pas appliquer la décision immédiatement, et que si nous la soumettons un réexamen, cela nous donnerait du temps avant sa mise en œuvre», a-t-il ajouté.
L'économiste Jassem Ajjaka a déclaré à Arab News que la scène «reflète le chaos causé par l'absence de gouvernement».
Ajjaka a également signalé que la décision du Conseil «ne prend pas en considération les intérêts des déposants». «Ceci ne signifie pas que les déposants doivent accepter de prendre leurs dépôts au taux fixe de 3 900 livres. Les banques doivent élaborer un plan d’action afin de donner aux gens leurs dépôts en dollars», ajoute-t-il.
Plusieurs économistes et politiciens estiment que le chaos causé par des décisions bancaires et judiciaires, jugées «hâtives et mal conçues», est aggravé par une intensification sans précédent du conflit entre Aoun et le Premier ministre désigné, Saad Hariri.
Ceux qui ont suivi de près le conflit s'attendent à ce qu'il se termine par une rupture entre les deux hommes, car tous les efforts de médiation ont échoué jusqu'à présent.
La guerre des mots entre le Mouvement du futur de Hariri et le Courant patriotique libre (CPL) d'Aoun s'est transformée en ce que les journalistes et les experts ont qualifié de «guerre d'annulation», car les deux camps ont échangé des accusations et des insultes personnelles au cours des 72 dernières heures.
Le Liban demeure sans gouvernement élu depuis 300 jours, date de la démission du gouvernement d'Hassan Diab, qui exerce jusqu’à présent une fonction intérimaire.
Mercredi, Diab a exhorté le peuple libanais à «rester patient face à l'injustice qui l’accable». Il a demandé aux partis politiques de «faire des concessions dans le but d’empêcher le pays de continuer sur cette voie effrayante».
Diab a en outre appelé les pays «frères et amis» du Liban à venir en aide au pays «avant qu'il ne soit trop tard», la même semaine, la Banque mondiale a indiqué dans un rapport que le Liban se dirige vers un effondrement économique inévitable.
Le patriarcat maronite a réitéré jeudi la nécessité d'une conférence internationale parrainée par l'ONU sur le Liban de manière à mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU.
Le patriarche Béchara Boutros Raï a annoncé mercredi du le palais présidentiel que les «insultes sont inacceptables». Il a suggéré «la formation d'un gouvernement composé de pôles, (…) d'hommes politiques», à l'image de celui formé par Fouad Chehab dans les années 1950, et «qui ne comprenait que quatre ministres, pour sauver le Liban de cet enfer».
Une déclaration récemment publiée par la présidence accuse par ailleurs Hariri d'usurper «les pouvoirs du président» et de «proposer de nouvelles règles pour la formation d’un cabinet».
De son côté, le Mouvement du futur a soutenu que la présidence est à présent «dominée par un groupe de conseillers qui essayent coûte que coûte de saper son statut, afin de le remplacer par des suggestions, des idées et des déclarations qui ne correspondent en rien son rôle national».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com