PARIS: C’est un cri d’alarme à l’adresse de la communauté internationale que le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a lancé hier via un communiqué dans lequel il assure devoir mettre fin à ses activités par manque de financement.
C’est un sinistre message, pour les victimes des attentats terroristes perpétrés dans ce pays et pour les adeptes de la lutte contre l’impunité et de la justice internationale dans l’ensemble de la région.
Dans sa simplicité, la teneur du message est glaçante: le TSL arrêtera de fonctionner par manque de budget dans un délai qui ne dépasse pas le mois de juillet prochain.
EN BREF
Le TSL doit encore boucler l’affaire de l’assassinat du Premier ministre libanais, Rafic Hariri, en février 2005, suite à l’appel interjeté par le procureur de l’acquittement de deux accusés.
Le verdict d’août 2020 avait condamné un des quatre accusés, Salim Ayache, par contumace à la prison à perpétuité, et acquitté deux autres; Hussein Oneissi et Hassan Sabra. Il a toutefois été établi que le quatrième accusé, Moustapha Badreddine, est décédé.
Le tribunal doit également boucler trois affaires annexes; l’assassinat de l’ancien secrétaire général du Parti communiste libanais, George Hawi, et les deux tentatives d’assassinats qui ont visé les anciens ministres, Marwan Hamadé et Elias el-Murr.
Ces affaires viennent de terminer la phase de mise en état avec un procès dont la date est fixée au 15 juin.
Après le 31 juillet, «nous n’aurons plus ni les ressources humaines ni les ressources financières pour continuer notre travail», note la porte-parole du TSL.
Wajed Ramadan
À la lecture de ce communiqué, on ne peut s’empêcher de se demander: sommes-nous face à une hypothèse réelle ou face à une sorte de pression sur les donateurs?
«Non, c’est un danger imminent», affirme à Arab News en français la porte-parole du TSL, Wajed Ramadan.
Après le 31 juillet, «nous n’aurons plus ni les ressources humaines ni les ressources financières pour continuer notre travail», souligne-t-elle.
En bref
Depuis sa création en 2009, le TSL est financé par les contributions volontaires de pays donateurs à hauteur de 51 %, et la contribution du Liban qui est de 49 %.
Contrairement à certains tribunaux internationaux comme celui de l’ex-Yougoslavie par exemple, financé par les Nations unies, le TSL doit lui-même réunir les fonds nécessaires à son fonctionnement.
«C’est un véritable défi annuel» que doit relever le TSL afin de réunir les fonds nécessaires à son fonctionnement, «parce que les contributions sont volontaires et à la discrétion des États», assure Mme Ramadan.
Au regard de tous les défis imposés par l’année 2021, dont la pandémie de Covid-19 et la situation financière très inquiétante du Liban, des réductions d’effectifs ainsi que des activités relatives à la protection des témoins et autres frais de sécurisation ont été appliquées.
Malgré ces efforts qui représentent une réduction de 37 %, les prévisions budgétaires pour l’année en cours restent à hauteur de quelque 34 millions d’euros.
Or, les fonds réunis jusqu’à présent sont très loin du compte et ne permettent pas le fonctionnement du tribunal au-delà du mois de juillet.
Il s’agit entre autres, selon Wajed Ramadan, d’un prêt accordé par les Nations unies d’un montant de 15,5 millions de dollars (1 dollar = 0,82 euro), qui devait servir à couvrir 75 % de la contribution du Liban.
Intensification des efforts
«C’est pour cela que nous appelons la communauté internationale à renouveler son soutien au tribunal» pour lui «permettre de finaliser les affaires» qui sont devant ses juges.
Devant la gravité de la situation, les officiels du TSL ne baissent pas les bras.
Bien au contraire, ils intensifient leurs efforts dans l’espoir d’assurer la pérennité de leur instance.
Selon des sources informées, le Liban n’est pas le seul pays à ne pas respecter ses engagements financiers, d’où l’appel à la mobilisation lancé à l’ensemble de la communauté internationale.
Faut-il comprendre que le processus de lutte contre l’impunité doit être bloqué afin de ne pas ouvrir une boîte de Pandore qui risque de se refermer sur les responsables des innombrables crimes subis par le Liban?
Arlette Khoury
Les mêmes sources avancent que les relances effectuées auprès des autorités libanaises sont restées lettres mortes.
À qui profite la disparition du TSL?
Les Libanais estiment que leur contribution a été couverte en grande partie par les Nations unies, alors que la somme avancée par cette institution est une dette que le TSL doit rembourser.
Les sources soulignent en outre que le Liban lésine sur les 25 % restants à s’acquitter, dus au tribunal.
Dans ce climat lugubre, Mme Ramadan veut garder «l’espoir de pouvoir finaliser notre travail» via un sursaut de «la communauté internationale afin que le TSL puisse mener à bien sa tâche».
Il s’agit du premier tribunal en son genre dans l’histoire du Proche-Orient et son interruption suscite de nombreuses interrogations.
Le plan stratégique mis au point par le tribunal visait à compléter le travail dans le délai imparti par le renouvellement du mandat en 2023, affirme Wajed Ramadan.
Il s’agit du premier tribunal en son genre dans l’histoire du Proche-Orient et son interruption suscite de nombreuses interrogations.
Y a-t-il une volonté d’étouffer tout espoir d’équité et d’écarter toute victime de sa quête légitime de justice? La fin du TSL est-elle un message pour les Libanais mais également à l’adresse des peuples de la région?
Faut-il comprendre que le processus de lutte contre l’impunité doit être bloqué afin d’éviter que s’ouvre une boîte de Pandore, emportant avec elle les responsables des innombrables crimes subis par le Liban?
Faut-il que les victimes de l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, se résignent et n’espèrent plus qu’un jour, une enquête internationale puisse faire la lumière sur ce drame humain?
Wajed Ramadan assure ne pas pouvoir se prononcer à ce sujet mais confirme que l’arrêt de l’action du TSL sera «très grave pour les victimes des attentats survenus depuis le 14 février 2005 et qui avaient mis tous leurs espoirs dans le processus de la justice et de l’État de droit».
Au-delà du Liban, la fermeture du TSL constitue un message plus global qui signifie que des actes terroristes de cette ampleur peuvent rester impunis.
Mme Ramadan concède que c’est «effectivement le danger auquel nous faisons face aujourd’hui».
À qui profite la disparition du TSL? Là encore, Wajed Ramadan assure ne pas pouvoir se prononcer mais rétorque que le tribunal a accompli la tâche qui lui incombe en rendant son verdict concernant l’assassinat de Rafic Hariri et que «nous devons finaliser ce travail».
Si le pronostic pessimiste des sources informées, estimant que l’aide n’arrivera pas, se confirme, il faudra s’attendre à ce que le TSL baisse tout simplement le rideau.