BORDEAUX: Le professeur Denis Malvy, infectiologue au CHU de Bordeaux et membre du Conseil scientifique, décrypte la stratégie – «inédite en France» – de lutte contre un cluster détecté dans le quartier de Bacalan et formé à partir d'un variant «préoccupant».
Que sait-on de ce variant et du cluster dont il est à l'origine ?
«Ce variant a le visage du variant anglais et a acquis plusieurs mutations supplémentaires dont une, la 484Q. Elle est connue sur certains variants indiens mais il l'a acquise ici de manière autochtone. On sait qu'elle est associée à la transmissibilité. On l'avait déjà repérée en France de manière sporadique mais seulement dans des collectivités fermées et de manière semi-confidentielle. L'originalité de la situation bordelaise, c'est que ce variant connaît une diffusion communautaire, c'est à dire non restreinte à des espaces circonscrits (comme une résidence pour personnes âgées ou un centre hospitalier, ndlr). La stratégie de screening (tester, isoler, tracer) et de “vaccination en ceinture”, autour de la collectivité en question, est difficile à faire dans le cas bordelais car il y a trop de chaînes de transmissions. Et elles sont extrêmement toniques et rapides».
Quelle stratégie a été mise en place pour le circonscrire ?
«Les autorités sanitaires ont décidé une action territoriale, sur un bassin de population élargi par rapport à l'endroit où les chaînes de transmission sont apparues de manière assez brutale il y une petite dizaine de jours. Cette stratégie comporte du screening et une vaccination massive (19 000 doses supplémentaires, ndlr), rapide et transgénérationnelle. Ce dernier point est d'autant plus nécessaire que ce cluster concerne surtout des jeunes, qui font des formes simples (de Covid-19). On sait que cette mutation est associée à la transmissibilité, on ne peut pas jouer avec le feu et la laisser s'installer. On est donc dans un scénario de freinage mais adapté à la situation singulière d'un variant s'exprimant dans des clusters d'expansion communautaire. Cette opération est inédite en France. S'il y avait une originalité dans cette situation bordelaise, ce serait la manière dont l'intervention vaccinale est conduite. Elle est audacieuse dans sa forme. Elle sera sans doute prise comme modèle lorsque ce type de cluster se renouvellera.»
Cette situation bordelaise peut donc se reproduire ailleurs ?
«Cela ne saurait manquer, tant que continue la course-poursuite entre le virus et la rapidité avec laquelle la communauté va acquérir son immunité collective, notamment en Aquitaine où le virus a peu circulé. Le coeur de la question, c'est donc la rapidité de déploiement de la vaccination, pour prendre de cours le virus et faire en sorte qu'il ait de moins en moins de moyens de produire des variants».