DJEDDAH: Une série de vidéos diffusées par un patron de la mafia turque en exil, dont la dernière en date soulève de graves allégations sur la corruption de l'État, met Ankara sous pression.
En effet, Sedat Peker, qui vit à Dubaï, fait la une des journaux et ses déclarations, qui portent sur des personnalités politiques turques éminentes, ébranlent les médias sociaux.
À travers ses vidéos, il cherche à exposer ses connexions étroites avec le gouvernement et à se venger de ceux qui l'ont discrédité au profit de son rival Alaattin Cakici, chef de mafia lui aussi, qui a été libéré de prison l'année dernière.
Les vidéos de Peker ont une si grande notoriété qu'IMDb en a classé tous les «épisodes» dans la catégorie des mini-séries télévisées dans les rubriques «biographie», «crime» et «télé-réalité».
Des millions de personnes ont ainsi regardé sa sixième vidéo sur YouTube, et la plate-forme a coché une case bleue, validant ainsi sa chaîne.
Dans sa septième vidéo, publiée dimanche dernier, Peker prétend que Mehmet Agar, ancien ministre de l'Intérieur et chef de la police turque, serait impliqué dans l'assassinat du journaliste d’investigation Ugur Mumcu, victime d’un attentat à la voiture piégée en 1993.
«Lorsque Mumcu a été assassiné, Agar a été le premier à se rendre sur les lieux du crime», affirme Peker.
Ugur Mumcu était célèbre pour ses articles circonstanciés qui portaient sur la corruption du gouvernement et sur les relations présumées entre les services de renseignements turcs et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). À l'époque, Agar avait écrit: «Si nous retirons une seule brique, le mur entier s'effondre.»
Peker, qui il y a peu entretenait encore des relations étroites avec le gouvernement, a en outre accusé des ministres turcs et des membres de leur famille de tremper dans le trafic international de drogue.
Il a changé d'hôtel, explique-t-il, parce qu’une équipe d'officiels est arrivée aux Émirats arabes unis afin de le trouver.
«Ils se sont servis de moi pour accumuler de grosses fortunes. Je comprends tout désormais. C’est honteux! Je ne serai plus jamais manipulé par qui que ce soit pour ses propres intérêts», s’exclame Peker. Il soutient également qu'Erkan Yildirim, le fils de l'ancien Premier ministre turc, se rend souvent au Venezuela pour faire de ce pays d'Amérique du Sud une nouvelle voie d'acheminement de la drogue vers la Turquie.
Points forts
- Sedat Peker, qui vit à Dubaï, fait la une des journaux, et ses déclarations, qui portent sur des personnalités politiques turques éminentes, bouleversent les médias sociaux.
- À travers ses vidéos, il cherche à exposer ses connexions étroites avec le gouvernement et à se venger de ceux qui l'ont discrédité au profit de son rival Alaattin Cakici, chef de mafia lui aussi, qui a été libéré de prison l'année dernière.
- Les vidéos de Peker ont une si grande notoriété qu'IMDb en a classé tous les «épisodes» dans la catégorie des mini-séries télévisées dans les rubriques «biographie», «crime» et «télé-réalité».
La Colombie a annoncé l'année dernière avoir saisi, en une seule opération, 4,9 tonnes de cocaïne à destination de la Turquie. D'après Peker, cette opération a incité les Turcs à changer le circuit du trafic de drogue et à trouver des alternatives, exploitant les voies très rentables du Venezuela.
«Erkan Yildirim s'est rendu au Venezuela au mois de janvier. Il y est resté quatre jours, puis y a passé quatre autres jours en février», déclare-t-il. «Ils se sont tournés vers le Venezuela. La contrebande de la Colombie vers le Venezuela est facile, car ce dernier n'est pas soumis au contrôle de la Drug Enforcement Agency [Agence américaine de lutte contre la drogue, NDRL]. Il en est de même pour le poste frontalier de Lattaquié, en Syrie, qui n’est pas placé sous le contrôle des États-Unis», précise-t-il.
Il explique que la drogue sera en outre acheminée, à l'avenir, de la République dominicaine, dans la mesure où les cargaisons sèches chargées de cocaïne en provenance du Venezuela doivent obligatoirement y faire escale, conformément au nouvel itinéraire des marchandises.
Il a par ailleurs proféré des menaces à l’encontre du ministre turc de l'Intérieur, Süleyman Soylu, qui a critiqué le baron du crime. «Je vais t'humilier à tel point que tu pourras rentrer dans une boîte d'allumettes. Je vais te promener avec une chaîne de chien à ton cou», a-t-il ainsi lancé.
Soylu, quant à lui, a démenti les allégations de Peker.
On voit derrière Peker un tableau blanc sur lequel sont inscrits des mots tels que: «Iran», «province méridionale de Mersin», «aéroport de Sabiha Gökcen en Turquie» ou «Syrie». Voilà de quoi retenir l'attention du public… Comme Peker n'a fait aucune référence à ces endroits, on peut penser que le prochain des «épisodes» qu’il présentera portera sur les liens entre la Turquie et l'Iran en matière de pétrole, d'armes à feu et de blanchiment d'argent.
Dans un Tweet, le journaliste d'investigation Mustafa Hos souligne que Peker «a mis un point d'interrogation après ces mots, ce qui signifie qu'il fait passer un message à certaines personnes pour obtenir d’elles des garanties».
Un journaliste de l'agence officielle turque, l’agence Anadolu, a été limogé pour avoir posé des questions compromettantes au ministre de l'Industrie, Mustafa Varank, ainsi qu’au ministre de l'Agriculture, Bekir Pakdemirli, lors d'une conférence de presse consacrée aux dernières allégations de M. Peker.
Le journaliste leur a demandé si le gouvernement entendait répondre à ces allégations et a suggéré que le nom de «Soylu» [le ministre de l’Intérieur, NDRL] était désormais «associé à de graves erreurs morales».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.