NEW DELHI: L’appel du gouvernement indien aux entreprises de médias sociaux, y compris Facebook et Twitter, à supprimer tout contenu faisant référence à un «variant indien» du coronavirus a été qualifié d '«exercice inutile» et de «demande illégale» par des experts.
«C'est complètement faux. Il n’existe pas de variant du COVID-19 scientifiquement cité comme tel par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) », a déclaré vendredi le ministère indien de l’Information et de la Technologie dans une lettre aux entreprises de médias sociaux.
«L’OMS n’a associé le terme «variant indien» au variant B1617 du coronavirus dans aucun de ses rapports», ajoute-t-il.
Les responsables du ministère de l'informatique et de Twitter n'étaient pas disponibles pour commenter lorsqu'ils ont été contactés par Arab News samedi, tandis que Facebook, une plate-forme de médias sociaux populaire, déclare qu'il « ne fera aucun commentaire » pour le moment.
Le 11 mai, l'OMS a classé le variant du coronavirus B1617, identifié pour la première fois en Inde l'année dernière, comme un « variant de préoccupation mondiale ».
Un jour plus tard, le gouvernement indien a publié un communiqué indiquant que les reportages des médias utilisant le terme «variant indien» manquaient de fondement, affirmant que l'OMS avait classé le variant comme étant simplement B1617.
Les experts des médias sociaux, cependant, déclarent que la dernière consigne vendredi du gouvernement est une «entrave» à la liberté d’expression.
« Aucune loi ne permet au gouvernement indien d’exiger ce type de censure », déclare à Arab News Nikhil Pahwa, fondateur de MediaNama, un portail d'information mobile et numérique.
«Je ne pense pas que les plates-formes de médias sociaux devraient se conformer à une demande illégale. Il existe des articles de presse légitimes qui utilisent le terme «variant indien», et cette demande du gouvernement indien empiète sur la liberté de la presse », ajoute-t-il.
Pahwa décrit la directive comme «un exercice inutile et une tentative de l'Inde d'exercer un contrôle semblable à celui de la Chine sur ses médias sociaux».
«Le terme (variant indien) est une référence familière, pas une infox», précise-t-il.
D'autres estiment que « l’identification d'une pandémie avec un pays est préjudiciable ».
« Le gouvernement est préoccupé par son image, peut-être excessivement », déclare à Arab News Sanjay Kapoor, rédacteur en chef du magazine d'information anglais Hard News, basé à New Delhi.
Kapoor souligne que « gérer une crise sanitaire, c'est aussi contrôler un discours, et le gouvernement peut croire que l'identification du pays au virus risque d’aider ses ennemis.»
Dans le monde entier, des variants du coronavirus ont été désignés de manière générique par des médecins et des experts en santé basés sur le pays où la souche a été identifiée pour la première fois.
Cela comprend l'Afrique du Sud, le Royaume-Uni et le Brésil.
Cependant, les experts en santé estiment qu'il devrait y avoir un «consensus» entre les scientifiques et les médias sur la dénomination des variants.
«Si faire référence à un variant indien est mauvais, alors le variant sud-africain ou britannique devrait également poser problème», déclare Pawan Jesani, fondateur du Forum for Medical Ethics Society et du Indian Journal of Medical Ethics, basé à Bombay, à Arab News.
«Ils devraient trouver un nom neutre. Sinon, accepter qu'il s’agit d'un virus indien. Il est né ici, sa mutation a eu lieu ici, c'est pourquoi son nom est variant indien », ajoute-t-il.
Jesani exhorte le gouvernement « à ne pas se soucier du nom » mais à se concentrer sur la «gestion» de l'épidémie.
«Il est plus important de gérer l’épidémie et de trouver un moyen de s'en sortir. C'est sur cela qu’il faut se concentrer. »
L’épidémiologiste, le Dr T. Jacob John, du Christian Medical College de la ville de Vellore, dans le sud de l’Inde, déclare que la demande du gouvernement reflète une «culture de la honte» dans laquelle «on associe son honneur au nom de la maladie».
«En Inde, nous pensons que notre honneur est important, pas notre culpabilité», dit John à Arab News.
«Tout ce qui affecte votre honneur et vous fait honte sera détesté. L'Afrique du Sud, le Royaume-Uni et le Brésil ne s'y sont pas opposés car ils ont une culture de culpabilité et seraient plus inquiets de de régler le problème », ajoute-t-il.
Le gouvernement du Premier Ministre Narendra Modi fait face à de sévères critiques pour sa gestion de la deuxième vague de la pandémie, avec des milliers de morts en raison d’une pénurie d’oxygène et de lits d’hôpital.
Samedi, l'Inde a enregistré plus de 257 000 infections et plus de 4 000 décès.
Cependant, les rapports des médias de certaines régions du pays suggèrent que le nombre de morts est beaucoup plus élevé que le chiffre officiel.
Les scientifiques attribuent la gravité de la deuxième vague au variant B1617, plus connu comme le «variant indien».
«C'est une bonne idée de s'en tenir à la nomenclature scientifique des variants, mais en même temps, les autorités indiennes devraient également éviter d'utiliser des noms liés à des pays dans leurs déclarations ou directives, comme les variants du Royaume-Uni, d'Afrique du Sud ou du Brésil», déclare Dr. Anant Bhan, chercheur et expert en santé publique, à Arab News.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com