RIYAD: En janvier 2015, Alberto Nisman, procureur argentin, a été retrouvé mort, une balle dans la tête, à son domicile de Buenos Aires. La découverte du corps a eu lieu quelques heures avant que M. Nisman n’accuse une ancienne présidente de l’Argentine d’avoir dissimulé l’implication de l’Iran dans deux attentats terroristes meurtriers perpétrés en Argentine.
Alberto Nisman avait accusé Cristina Fernández de Kirchner de dissimuler le rôle de Téhéran afin de préserver les relations entre les deux pays. Le procureur avait précédemment suggéré que l’attaque était probablement liée à la décision de mettre fin à la coopération de l’Argentine avec le programme nucléaire iranien.
Les circonstances qui ont entouré la mort de M. Nisman n’ont jamais été élucidées. Un nouveau rapport mené par l’Unité de recherche et d’études (RSU) d’Arab News, le troisième de sa série L'Iran en Amérique latine, examine le déclin constant de la relation entre l’Iran et l’Argentine –et son éventuelle réactivation.

Après une période de coopération nucléaire qui a débuté au milieu des années 1980, les relations ont été malmenées par les attentats à la bombe de Buenos Aires au début des années 1990, sous l’ère du président Carlos Menem, au pouvoir de 1989 à 1999.
Ces attentats à la bombe, le premier contre l’ambassade d’Israël en 1992 et le second contre l’Association mutuelle israélite d’Argentine (Amia) en 1994, ont détruit ce qui était auparavant une relation étroite et mutuellement avantageuse entre deux puissances moyennes.
Il est nécessaire d'analyser le contexte historique et le rôle de la principale partie impliquée dans la mise en œuvre de ces opérations terroristes, afin de comprendre comment ces événements se sont produits et ont affecté la nature des relations bilatérales.
L'Iran soutient le Hezbollah depuis que le mouvement a été créé au Liban en 1985 et a travaillé pour étendre son réseau sur les cinq continents.
Le Hezbollah a commencé ses opérations en Amérique latine au début des années 1990, utilisant la lucrative économie illégale de la région comme base pour lancer des attaques terroristes. Il a notamment su exploiter l'anarchie qui sévissait à la frontière tripartite où convergent le Brésil, l'Argentine et le Paraguay.
La région compte une importante population musulmane que le Hezbollah a exploitée directement ou que ses agents ont utilisée comme couverture. Le Brésil et l'Argentine abritent près de 5 millions de personnes d'origine arabe, notamment des personnalités éminentes telles que Carlos Menem.
En Argentine, le Hezbollah a identifié deux sites israéliens/juifs comme cibles. La première attaque fut un attentat à la voiture piégée, le 17 mars 1992, contre l'ambassade d'Israël qui a fait 29 morts et des centaines de blessés.
La deuxième fut l’explosion d’une bombe, le 8 juillet 1994, au centre communautaire juif Amia, faisant 85 morts et des centaines de blessés.

De nombreuses sources identifient le régime de Téhéran comme le principal suspect derrière les deux attentats, en particulier les autorités américaines qui partagent depuis des années des soupçons sur l'implication du Hezbollah et de l'Iran.
Des organisations religieuses affiliées au Hezbollah en Argentine – soit l'Association du djihad islamique et la Société islamique d'Argentine – ont revendiqué l'attaque de l'ambassade, affirmant qu’elle était une réponse à l'assassinat de l'ancien chef du Hezbollah, Abbas al-Moussaoui, et des membres de sa famille par Israël en février 1992.
Il existe des preuves suggérant que l'Iran et la Syrie étaient également impliqués. Selon le témoignage d’Abu al-Qasim Mesbahi, un transfuge iranien qui travaillait pour les services de renseignement du pays, l’idée de mener une attaque en Argentine était un élément fondamental des plans de Téhéran visant à exporter la révolution iranienne vers d’autres pays.

M. Mesbahi a déclaré que l'attentat contre l'Amia a été planifié lors d'une réunion à Mashhad, en Iran, en août 1993, à laquelle de hauts responsables iraniens ont assisté, notamment le Guide suprême, Ali Khamenei; le président, Hachemi Rafsandjani; le ministre du Renseignement, Ali Fuleihan; le ministre des Affaires étrangères, Ali Akbar Velayati; et Mohsen Rabbani, qui a ensuite été nommé attaché culturel à l'ambassade d'Iran en Argentine.
En 2004, alors que Nestor Kirchner était président, les autorités argentines ont nommé Alberto Nisman comme procureur spécial chargé d’enquêter sur l'attentat à la bombe perpétré contre le centre juif Amia, en particulier sur le rôle de l'Iran. Il a partiellement réussi. En 2007, les relations entre l'Argentine et l'Iran se sont détériorées lorsque les autorités argentines ont obtenu des mandats d'arrêt d'Interpol contre cinq Iraniens soupçonnés d'être impliqués dans l'attaque.
Bien que M. Kirchner ait demandé que justice soit faite dans cette affaire lorsqu’'il était au pouvoir, l'enquête a été délaissée pendant quelques années après sa démission en 2007, et notamment, quand sa femme, Cristina Fernández de Kirchner, était présidente de 2007 à 2015.
Le Congrès argentin adopte depuis des années des résolutions demandant que justice soit rendue pour les victimes de l'attentat perpétré contre l'Amia et exigeant que l'Iran soit tenu pour responsable. Lorsque le président, Mauricio Macri, était au pouvoir, de 2015 à 2019, le gouvernement a rétabli ce qui était devenu une politique dure à l'égard de l'Iran. L’année dernière, l’actuel président de l’Argentine, Alberto Fernandez, a déclaré aux dirigeants juifs qu’il souhaitait mener à son terme cette affaire judiciaire de plusieurs décennies.

La résolution de l’affaire a toutefois été compliquée par des allégations de corruption et par l’assassinat présumé de M. Nisman.
La coopération nucléaire a longtemps été la base des relations entre l'Argentine et l'Iran. Les ambitions nucléaires de l’Argentine ont évolué, passant d’activités unilatérales dans les années 1970 et 1980 à des engagements bilatéraux et multilatéraux dans les années 1990 et au-delà. Avant même de devenir le premier pays d'Amérique latine à utiliser l'énergie nucléaire, en 1974, l’Argentine a défendu le droit des nations d'utiliser le développement nucléaire comme un outil de paix.
Les efforts déployés par l'Argentine pour faire progresser sa propre recherche et son développement nucléaires ont consisté à établir des accords et des mécanismes de coopération avec un certain nombre de pays, dont le Brésil, l'Australie et les pays des Caraïbes.
La coopération internationale comprenait également des projets communs avec l'Iran dans les années 1980. En 1967, les États-Unis avaient fourni à l'Iran un réacteur de recherche nucléaire construit à Téhéran. Washington a toutefois interrompu l'exportation de l'uranium enrichi nécessaire à son alimentation après la révolution iranienne de 1979.
Des policiers fédéraux argentins escortent l'un des deux citoyens iraniens arrêtés après être entré dans le pays avec de faux passeports israéliens, alors qu'ils sont emmenés au tribunal de Comodoro Py à Buenos Aires, le 18 mars 2019 (AFP / Photo d’archives)
Sur ordre du Chef suprême, l'ayatollah Khomeini, les Iraniens ont demandé l'aide de l'Argentine afin de relancer et développer son programme nucléaire, et achever les travaux sur une importante centrale nucléaire en construction près du port de Bouchehr, dans le sud du pays.
Le 5 mai 1987, la société argentine Invap a signé un accord d'une valeur de 5,5 millions de dollars (1 dollar = 0, 82 euro) avec l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (OEAI) afin de doter Téhéran d'un nouveau cœur pour le réacteur de recherche fourni au Centre de recherche nucléaire de Téhéran par les Américains vingt ans plus tôt. En 1992, cependant, la coopération dans le domaine nucléaire a été suspendue à la suite de l'attaque contre l'ambassade d'Israël.
Depuis 1994, l’Argentine critique ouvertement le programme nucléaire iranien et tout commerce de ressources nucléaires a cessé. Néanmoins, l'Iran espère toujours rétablir sa coopération avec l'Argentine. En février 2008, l'idée de reprendre l'approvisionnement en combustible nucléaire en provenance d'Argentine a été évoquée.
Lors de son enquête menée sur les attentats de 1992 et 1994, Alberto Nisman a toutefois suggéré que les attentats étaient probablement liés à la décision du président de mettre fin à la coopération de l'Argentine avec le programme nucléaire iranien.

En 2011, des membres du Congrès américain ont demandé au département d'État d’enquêter afin de savoir si l'Iran et l'Argentine avaient renouvelé leur coopération nucléaire dans le cadre d'un accord négocié et financé par le Venezuela. Certains rapports ont affirmé que Mahmoud Ahmadinejad, alors président de l'Iran, avait demandé aux autorités vénézuéliennes d'intervenir afin de persuader l'Argentine de partager la technologie avec Téhéran et de contribuer à son programme nucléaire.
Sous la présidence de Fernández de Kirchner, les relations diplomatiques entre l'Iran et l'Argentine se sont renforcées. Hugo Chávez, alors président du Venezuela, aurait organisé des pourparlers entre Téhéran et Buenos Aires.
Au fil des gouvernements qui se sont succédé, l'Argentine a attendu une coopération substantielle de l'Iran afin de résoudre ce qui s'est passé lors des attentats à la bombe. Identifier les responsables, ainsi que leurs soutiens, et les traduire en justice est un objectif essentiel de la politique étrangère de l’Argentine. Un tel succès pourrait constituer un élément pour un rapprochement politique avec l'Iran. Si le problème n’est toujours pas résolu, il continuera toutefois de troubler les relations.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com