PARIS: Effet inattendu de la crise sanitaire, l'hôtellerie-restauration va devoir revaloriser ses métiers et offrir de vraies carrières aux jeunes car après un an d'inactivité forcée, les salariés abonnés aux tâches ingrates, mal rémunérées ou épuisantes ne reviendront pas forcément.
«Cette crise est le moment de réfléchir à ce qu'on a bien fait, à ce qu'on n'a pas bien fait: il y a un certain nombre de travaux dans les hôtels et les restaurants qui sont pénibles. Il faut mieux reconnaître et revaloriser les personnes» par le salaire et des postes «beaucoup plus polyvalents», a affirmé récemment le patron du géant hôtelier Accor, Sébastien Bazin.
«Je risque de perdre un quart des gens qui travaillent dans mes hôtels: peut-être ne reviendront-ils pas travailler», a-t-il poursuivi, car ces «personnes ont appris à passer du temps précieux avec leur famille».
Huit professionnels sur dix de l'hôtellerie-restauration anticipent une «activité ralentie», au moins divisée par deux en 2021 comparé à l'avant-Covid-19, tandis qu'un sur trois s'inquiète du retour de ses salariés, selon une étude du cabinet Akto pour le patronat du secteur.
La crise a «accentué les difficultés de recrutement déjà constatées auparavant dans la branche» et liées aux conditions de travail vues comme difficiles: horaires décalés, travail le week-end et le soir, explique l'étude.
Si une moitié d'établissements compte maintenir ses effectifs en 2021, l'autre moitié envisage des pertes «chiffrées à plus de 110 000» personnes, mais le «phénomène est difficilement mesurable».
Parmi les salariés à avoir quitté le secteur, Géraldine Faijean: ex-directrice du restaurant parisien Le Break, elle a pris un poste d'assistante de direction dans une petite entreprise automobile à Allauch près de Marseille, avec «un salaire divisé par deux», dit-elle. «Mais j'ai un logement, et vu le prix des loyers parisiens cela revient au même».
«Toujours debout, c'est très dur»
«En tant que maman solo avec deux enfants, même grands, ça commençait à devenir très compliqué. Et je vais avoir 50 ans: physiquement, être toujours debout, c'est très dur.»
Si «l'effervescence parisienne» lui manque, elle apprécie sa nouvelle qualité de vie, et se forme à l'œnologie pour travailler bientôt dans un domaine viticole.
Pour Michel Morauw, patron en France du groupe hôtelier américain Hyatt, «il va être difficile de trouver des équipes pour les hôtels: c'est un métier qui est à la fois passionnant et très exigeant. Pour cela, il faut changer notre manière de recruter».
Hyatt a lancé en 2019 le programme RiseHY, interrompu par la Covid-19 l'an dernier: en partenariat avec l'association Les Déterminés, 40 jeunes en décrochage scolaire vont être formés à partir de juin, pendant 10 mois, et intègreront ensuite les hôtels du groupe.
«L'industrie va aussi devoir recruter des gens de tous âges, sans expérience mais qui sont alignés avec notre raison d'être: aimer les gens, être à l'écoute, avoir l'esprit d'accueil», indique M. Morauw qui anticipe, dans les mois à venir, une forte concurrence dans le recrutement.
«Il faudra offrir des carrières très dynamiques»: plus question de rester «confiné toute sa carrière» à la plonge ou au service d'étage, affirme-t-il.
Lui-même a été formé à l'Ecole hôtelière de Lausanne avant d'entrer comme stagiaire au Hyatt Regency de Washington en 1984.
«La jeune génération veut que ça bouge vite: on doit s'adapter à ça aussi», estime-t-il.
Barman et responsable du restaurant Chez Claude, dans le 1er arrondissement de la capitale, Salah Haddouche, 29 ans, juge également que «ce sont des métiers qu'il faut revaloriser, qui sont importants pour la sociabilité, pour les gens».
«Quand ça ne va pas, il faut le dire. A Paris, certaines affaires touristiques qui ont un emplacement idéal font un peu n'importe quoi. Le patron ne doit pas oublier que sans ses salariés, il n'est rien», conclut-il.