PARIS : L'opposant russe Alexeï Navalny a, selon ses médecins, été empoisonné avec une substance du groupe des inhibiteurs de la cholinestérase : c'est à cette famille qu'appartiennent de redoutables armes chimiques appelées « agents innervants ».
« Les résultats cliniques indiquent une intoxication par une substance du groupe des inhibiteurs de la cholinestérase », a indiqué dans un communiqué l'hôpital berlinois de la Charité, où il est traité.
Les inhibiteurs de la cholinestérase sont une famille de substances à laquelle appartiennent des médicaments contre la maladie d'Alzheimer ou certains insecticides (organophosphorés et carbamates).
Mais cette famille comprend aussi des armes chimiques qui agissent sur le système nerveux, les agents innervants. Parmi eux, le fameux sarin, le VX ou le Novitchok russe, utilisé pour empoisonner l'ex-espion Sergueï Skripal et sa fille Ioulia en 2018 en Angleterre.
Ces substances ciblent une enzyme appelée acétylcholinestérase, dont le rôle est crucial : c'est elle qui détruit l'acétylcholine, une molécule qui agit sur la contraction des muscles.
Lorsque l'agent innervant bloque cette enzyme, l'acétylcholine s'accumule, ce qui détraque le système nerveux.
« Les muscles ne sont plus capables de se contracter et de se relâcher. Ils sont pris de sortes de spasmes. Tous les muscles sont touchés, et l'effet le plus crucial concerne ceux qui sont responsables de la respiration », explique le toxicologue Alastair Hay (université de Leeds), cité par l'organisme britannique Science Media Centre.
Selon la nature de l'inhibiteur de la cholinestérase, l'effet est ou non réversible. Dans les cas les plus graves, l'intoxication peut aboutir à la mort par étouffement ou arrêt cardiaque.
La procédure de soins classique est de stabiliser les fonctions vitales du corps (respiration, battements du cœur).
Parallèlement, il faut administrer au patient de l'atropine. Placé en coma artificiel, M. Navalny est traité avec ce médicament, selon l'hôpital de la Charité.
L'atropine bloque les récepteurs de l'acétylcholine pour empêcher son accumulation dans le système nerveux. Le temps, si le traitement fonctionne, de permettre au corps d'évacuer le toxique et de produire à nouveau l'enzyme qu'il ciblait.
« Cela peut prendre du temps, des jours voire des semaines », selon Alastair Hay. En outre, il peut y avoir des séquelles à long terme.
En 2018, Skripal et sa fille avaient échappé à la mort après un lourd traitement médical.
Le poison qui a intoxiqué M. Navalny « n'a pas encore été identifié et une nouvelle analyse de grande envergure a été lancée », selon l'hôpital.
On ne sait donc pas encore avec certitude s'il s'agit bien d'un agent innervant.
Dans des conditions normales, ces armes chimiques se présentent sous forme liquide, plus ou moins fluide. La rapidité d'action dépend du mode d'administration.
Une inhalation à forte dose peut provoquer la mort en quelques minutes. Le processus est plus long si l'agent pénètre dans le corps non pas via le système respiratoire mais via la peau.
Dans ce cas, « les premiers symptômes surviennent 20 à 30 minutes après l'exposition initiale et ensuite, le processus d'empoisonnement peut être rapide si la dose est élevée", note l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) sur son site internet.
Les médecins russes ayant soigné Alexeï Navalny lors de son hospitalisation en Sibérie ont eux indiqué lundi ne pas avoir trouvé lors de leurs tests de cholinestérase dans l'organisme de l'opposant.
« Lors de son admission à l'hôpital, Alexeï Navalny a fait l'objet de tests sur un large éventail de stupéfiants, substances synthétiques, psychodésiques et médicinales, y compris les inhibiteurs de la cholinestérase. Les résultats ont été négatifs », a déclaré aux agences russes Alexandre Sabaïev, toxicologue en chef de l'hôpital des urgences n°1 d'Omsk, où était hospitalisé M. Navalny avant son transfert en Allemagne.