LONDRES: Le chef du Labour, Keir Starmer, avait reconnu se préparer à une journée difficile. La perte d'un bastion supplémentaire travailliste dans le nord de l'Angleterre sonne comme un cinglant revers, qui ravive les querelles internes au sein de l'opposition à Boris Johnson.
Le patron du parti n'est sorti de son silence qu'en fin d'après-midi pour se dire «amèrement déçu» et assumer «l'entière responsabilité» de l'échec. Mais il s'est abstenu d'annoncer tout changement, malgré la grogne qui monte dans l'aile gauche.
Car le premier résultat du «Super jeudi» d'élections locales est tombé comme un coup de tonnerre au petit matin. Hartlepool, qui avait toujours élu des députés travaillistes depuis la création de la circonscription en 1974, va envoyer à Westminster, à l'issue d'un scrutin anticipé, la conservatrice Jill Mortimer qui a obtenu près du double du score de son adversaire du Labour, Paul Williams.
Après l'avoir pulvérisé lors des législatives de 2019, Boris Johnson enlève une brique de plus au «mur rouge», ces régions du nord de l'Angleterre qui ont souffert de plein fouet de la désindustrialisation des dernières décennies et ont voté massivement en faveur du Brexit en 2016 (près de 70% pour Hartlepool).
Dans le reste du pays, les conservateurs, au pouvoir depuis plus de 10 ans à Londres, progressent dans de nombreuses assemblées locales.
Elu à la tête du Labour il y a un an après la déroute historique subie par son prédécesseur, le très à gauche Jeremy Corbyn, Keir Starmer, plus centriste, n'a pas eu la tâche facile. Il a dû mener l'opposition au gouvernement en pleine crise sanitaire, marquée par des appels à l'unité nationale et des dépenses publiques historiques inhabituelles pour un gouvernement conservateur.
En outre, ces élections sont intervenues à un moment où le succès de la campagne de vaccination redore le blason du gouvernement de Boris Johnson, jusqu'alors critiqué pour sa gestion de la pandémie, qui a fait plus de 127 000 morts dans le pays.
Plus fondamentalement, le Labour continue de souffrir des conséquences du Brexit. Il a manqué d'une position claire sur ce sujet majeur après la victoire du «leave». Sa direction garde une image de «remainers» peu appréciée dans l'électorat pro-Brexit, séduite à l'inverse par Boris Johnson et ses promesses de revaloriser les régions du Nord.
Pour l'expert en élections John Curtice, la leçon est claire: «Cela montre le manque de progrès du Labour pour renouer avec la classe ouvrière depuis les législatives» de 2019, a-t-il expliqué sur la BBC.
S'inspirer de Biden
L'aile gauche du parti d'opposition s'est engouffrée dans la brèche pour critiquer l'orientation de Keir Starmer, la députée Diane Abbott relevant qu'il n'était cette fois «pas possible de blâmer Jeremy Corbyn» et l'appelant à «changer de stratégie».
Ce dernier, qui avait attiré de nombreux militants jeunes vers le Labour, a appelé son camp à «proposer une vision plus audacieuse».
Le député Lloyd Russell-Moyle a conseillé à Keir Starmer de s'inspirer de Joe Biden, qui a «invité la gauche autour de la table au lieu de la clouer au pilori» et parle à la fois «aux libéraux et aux cols bleus».
A l'inverse, l'élu Steve Reed a estimé que le Labour devait poursuivre sa transformation «plus fort et plus vite» pour regagner la confiance.
Peter Mandelson, ancien député d'Hartlepool et allié clé de Tony Blair dans les années 1990, a mis la victoire sur le compte de «deux C: Covid et Corbyn et un peu de Brexit», estimant que l'ancien chef restait un repoussoir.
Les récentes attaques de Keir Starmer sur l'intégrité du pouvoir, éclaboussé par des révélations sur des conflits d'intérêt avec le monde des affaires et le financement de la luxueuse rénovation de l'appartement de Boris Johnson à Downing Street, n'ont pas porté.
Il se trouve sous pression désormais pour reprendre l'initiative mais a repoussé à plus tard tout changement de cap ou remaniement de la direction du parti.
«Cela va au delà d'un remaniement ou des personnes, cela concerne le cœur du problème: savoir si le Labour s'adresse à lui-même ou au pays», a-t-il déclaré aux télévisions, promettant de s'atteler à «reconstruire la confiance» au sein de la classe ouvrière.
«Nous avons déjà changé, nous devons aller plus loin», a-t-il assuré.