PARIS: La Franco-Sénégalaise Rokhaya Diallo, autrice, réalisatrice, chroniqueuse, journaliste antiraciste, estime dans un entretien que « la France n'est pas universaliste ».
Âgée de 43 ans, celle qui rejette le terme de « militante » car elle n'est affiliée à aucun parti ou association, s'est fait connaître par sa défense médiatique du courant « décolonial ». Les personnes « racisées » par la couleur de leur peau sont, toujours aujourd'hui, victimes des discriminations nées du colonialisme, selon les tenants de ce courant.
Q: Il y a parfois une crispation évidente quand vous prenez la parole. Êtes-vous stimulée par la polémique ?
R: « Non, je n'apprécie pas du tout la polémique et son caractère superficiel : j'aime la confrontation intellectuelle, de pouvoir exposer mes idées dans un contexte serein, et d'être ‘challengée’ pour aller dans mes retranchements. C'est pour ça que je fais des documentaires, que j'écris beaucoup, que je donne des conférences à l'étranger... Je viens aussi d'être nommée à l'université de Georgetown, à Washington, comme chercheure associée, dans un nouveau centre de recherches sur la justice sociale. Travailler avec des gens qui nourriront ma réflexion me motive beaucoup, plus que l'affrontement stérile des réseaux sociaux ».
Q: Votre courant de pensée, dit intersectionnaliste, décolonial, est beaucoup mieux représenté aux Etats-Unis qu'en France. Pensez-vous que l'universalisme dont se réclame la France est un obstacle ?
R: « C'est vrai qu'il y a dans d'autres pays, y compris en Allemagne ou au Royaume-uni, une réception plus apaisée de mon propos qu'en France. Ce vocable de l'universalisme, j'ai l'impression que certains se le sont accaparé. Mais je ne me sens pas moins universaliste qu'eux. Simplement, ce que j'énonce comme universalisme est plus inclusif : on ne peut pas se déclarer comme tel si on n'inclut pas tout le monde ».
Q: Reste-t-on trop aveugle aux discriminations en France ?
R: « Ce que je pense, c'est que la France n'est pas universaliste, parce qu'elle peine à traiter ses citoyens de manière équitable et égalitaire. Il y a des discriminations à l'embauche extrêmement présentes, profondes, et c'est un phénomène qu'on ne découvre pas aujourd'hui. Des discriminations au logement, à l'emprunt, etc. Non seulement on ne met pas en œuvre de politiques pour le corriger, mais en plus dès qu'on essaie d'en parler, on est accusé de diviser. Pourtant ce qui divise, ce n'est pas ceux qui dénoncent les discriminations, ce sont les discriminations elles-mêmes, et le sexisme, le racisme, l'homophobie, etc. Et ce qui empêche la France d'embrasser son universalisme, c'est son incapacité à se remettre en question. La posture de pays des droits humains et universaliste est théorique : la réalité de la France n'a rien à voir avec ce qui est énoncé sur le fronton de ses mairies ».
Q: A quoi est dû selon vous ce décalage ?
R: « Je pense qu'il y a un déni. Et quelque chose qui est lié aussi à la position et à la culture de la France, pays qui a été très puissant, qui a eu le deuxième plus grand empire colonial, qui s'étend encore aujourd'hui sur plusieurs continents, dont la langue a été celle de la diplomatie... Il a d'autant plus de mal avec les remises en question qu'elles viennent des marges. On va donc agresser des personnes minoritaires de par leur origine ethnique, parce qu'on les considère comme incompétentes pour remettre en question un pays aussi grand, parce qu'on refuse d'admettre qu'on n'est pas dans un pays parfait. L'admettre, je pense, est avoir de l'estime pour ce pays. Le questionner veut dire qu'on a envie de faire cohabiter toutes les réalités qui le composent. Nous ne sommes pas tendres, certes. Mais c'est dans un but positif ».