WASHINGTON: Il a vu grand. Il a bougé vite. Il a surpris ses détracteurs et certains de ses partisans. En 100 jours, Joe Biden, 46e président des Etats-Unis, a imprimé sa marque.
Sans effets de manche, fidèle au ton empathique et volontiers familier qu'il affectionne, celui qui avait d'abord été élu sur une promesse de calme après la tempête Trump avance à grandes enjambées.
Moqué pour ses hésitations et ses gaffes ? Il se montre discipliné, communication soigneusement calibrée à l'appui. Il tient tête à Vladimir Poutine et Xi Jinping avec des formules qui font mouche (« Il n'a pas une once de démocratie en lui », lâche-t-il à propos de son homologue chinois).
Accusé de manquer de coffre ? Le plus vieux président de l'histoire met en avant records après records sur la vaccination (plus de 200 millions de doses administrées). Il fait adopter en quelques semaines un plan de soutien de l'économie de 1 900 milliards de dollars et en propose dans la foulée un autre sur les infrastructures d'un montant équivalent.
« Il a été sous-estimé, mais cela s'explique en partie par son parcours. Durant sa carrière de sénateur, il a toujours privilégié le pragmatisme et les changements par petites touches », explique Julian Zelizer, professeur d'histoire à l'université de Princeton.
« Même durant sa campagne, il faisait l'éloge de la modération et de la normalité. D'une certaine manière, il a changé de stratégie en optant pour plus d'audace. C'est une stratégie qui, d'un point de vue politique, a payé ».
Présidence sans drames
Symbole d'un style simple qu'il revendique, il sort régulièrement de sa poche de costume une petite fiche sur laquelle sont inscrits les principaux indicateurs de la pandémie, dont le nombre de morts.
Entouré d'une équipe jusqu'ici unie, il offre le spectacle d'une présidence sans drames ni scandales. Le déchirement annoncé du Parti démocrate n'a pas eu lieu. L'aile gauche a montré quelques signes d'impatience mais a jusqu'ici soutenu « Joe ».
Au quotidien, la Maison Blanche donne l'image d'une « machine bien huilée », pour reprendre la formule utilisée par Donald Trump pour décrire, dans une étrange pirouette, le chaos qui régnait dans les couloirs de la prestigieuse West Wing durant son mandat.
Sur le front international aussi, Joseph Robinette Biden Jr s'est rapidement positionné.
Son « sommet climat » - virtuel mais bien orchestré - a marqué de façon spectaculaire le retour des Etats-Unis (« America is back ») dans ce jeu diplomatique dont son prédécesseur s'était retiré avec fracas.
Cette grand-messe à peine achevée, il a tenu samedi une promesse de campagne emblématique : il a prononcé le mot « génocide » pour parler de la mort d'un million et demi d'Arméniens massacrés par l'Empire ottoman en 1915.
Aucun de ses prédécesseurs n'avait osé, craignant la vive réaction de la Turquie : Barack Obama s'était, lui aussi, engagé à le faire, mais avait reculé une fois installé dans le Bureau ovale.
Majorité étriquée
En vieux routier de Washington, il sait cependant que le plus dur est à venir.
Sa majorité étriquée au Congrès est une vulnérabilité : elle place une poignée de sénateurs démocrates - tel Joe Manchin - en position d'arbitres surpuissants.
Son plan d'investissement dans les infrastructures n'est à ce jour qu'un projet. Les discussions s'annoncent âpres, l'issue du combat législatif est incertaine.
Sur les armes à feu, comme sur les lois électorales, son impuissance pourrait bientôt apparaître de manière flagrante.
Sur l'épineux dossier de l'immigration enfin, Joe Biden est, depuis son arrivée au pouvoir sur la défensive. Tâtonnements, rétropédalages : tiraillée entre la promesse d'une politique migratoire plus « humaine » et la crise à la frontière mexicaine, avec des arrivées par milliers de migrants, la Maison Blanche est à la peine.
Mercredi, à la veille de l'anniversaire symbolique des 100 jours, il prononcera son premier discours de politique générale devant le Congrès, en prime-time.
Sa porte-parole Jen Psaki a promis une allocution centrée sur l'enfance, l'éducation, la santé, « les priorités de la classe moyenne ». Avec, au cœur du dispositif, une hausse des impôts pour les Américains plus riches.
FDR ? LBJ ?
Dans le camp démocrate, la machine s'emballe, les comparaisons flatteuses - parfois hâtives - pleuvent.
Certains évoquent Franklin D. Roosevelt (« FDR ») et l'audace du New Deal pour relever le pays englué dans la Grande Dépression. D'autres citent Lyndon B. Johnson, qui avait mis à profit sa fine connaissance des rouages du Congrès pour faire bouger les lignes dans la société américaine.
Joe Biden rejoindra-t-il le petit groupe - prestigieux - des présidents qui ont laissé leur empreinte dans l'histoire américaine ?
« C'est possible, mais il est beaucoup trop tôt pour le dire », tempère Julian Zelizer.
En face, privé de son compte Twitter mais surtout du puissant mégaphone de la présidence, Donald Trump est pour l'heure inaudible. Ses communiqués rageurs, presque quotidiens, tombent dans le vide.
Comme pour mieux dire que la page est tournée, Joe Biden n'évoque presque jamais son bouillonnant prédécesseur.
Mais « l'ancien gars », comme il l'avait qualifié il y a quelques semaines, reste extrêmement populaire dans le camp républicain. Et pourrait donner de la voix à l'approche des élections de mi-mandat, fin 2022, où Joe Biden jouera gros.
D'où la volonté de ce dernier de frapper fort (« go big ») en début de mandat, tant qu'il a tous les leviers du pouvoir.