KABOUL: L’incertitude croissante, l'instabilité politique et le manque de confiance dans l'avenir de l'Afghanistan ont contraint des centaines d'hommes d'affaires à quitter le pays, ce qui a occasionné des pertes de près d’1,5 milliard de dollars (soit 1,25 milliards d’euros) l'année dernière au milieu d’une économie déjà fragile, a déclaré dimanche dernier à Arab News Khan Jan Alokozai, le directeur adjoint de la Chambre du commerce et des investissements en Afghanistan.
«Nous estimons malheureusement que 1 500 petits commerçants, investisseurs et hommes d'affaires ont quitté le pays dans la seule année 2020 en raison des conflits au sein du gouvernement, de l'insécurité croissante et de la corruption», explique Alokozai.
«Nos estimations non officielles signalent une fuite de capitaux d'au moins 1,5 milliard de dollars, envoyés ou emmenés à l'étranger l'année dernière à des fins d’investissement», ajoute-t-il.
Exode des investisseurs
Selon Alokozai, l’origine de l’exode des investisseurs remonte à la fin de l’année 2014, lors du retrait radical d’Afghanistan des troupes dirigées par les États-Unis. Des conflits entre le président, Ashraf Ghani, et le chef de l’exécutif de l'époque, le Dr Abdallah Abdallah, ont alors vu le jour après des élections apparemment frauduleuses que l’un et l’autre disaient avoir gagnées.
La lutte pour le pouvoir entre les deux dirigeants est montée d’un cran en 2019, lorsque les résultats des élections ont permis aux talibans de gagner du terrain. Parallèlement, des commandants régionaux et des chefs ethniques autoproclamés «exerçaient une pression pour former un futur gouvernement qui réponde à leurs exigences».
Les pourparlers de paix intra-afghans entre le gouvernement de Ghani et les représentants des talibans, aujourd’hui dans l’impasse, constituent un autre facteur déterminant. Ils ont été initiés au mois de septembre de l’année dernière mais n’ont permis aucune avancée dans le processus de paix.
Divisions internes
Alokozai révèle que la majorité des investisseurs ont choisi de s'installer plutôt en Turquie, par crainte de revivre les conséquences de divisions internes au sein du gouvernement. Ces dernières ont conduit dans les années 1990 à la chute du régime communiste soutenu par Moscou après le départ des troupes de l'ex-Union soviétique.
«Ces commerçants ont fait l’amère expérience de la chute du Dr Najib [président pendant l'ère communiste], qui a eu lieu à la suite d'une guerre interne. Maintenant, ils veulent donc partir.»
«Près de 60% du secteur privé a cessé ses activités ces dernières années. Les usines ont fermé leurs portes, seuls les commerces de produits alimentaires et de carburants fonctionnent. La masse annuelle de nos produits en circulation sur le marché a baissé de 15 milliards de dollars [12,54 milliards d’euros] à 6 ou 7 milliards de dollars [entre 5 et 5,85 milliards d’euros]», se désole-t-il.
Retrait complet des troupes
Ces préjudices n’épargnent pas le niveau tertiaire. En effet, la plupart des investisseurs et des commerçants afghans «consacrent 25% de leurs revenus aux gardes du corps et aux véhicules blindés, sans oublier les pertes occasionnées en raison de la violence quotidienne à travers le pays et des pots-de-vin qu’ils doivent débourser», poursuit Alokozai.
Ce dernier donne l'exemple d'une vidéo qui a fuité du ministre des Finances, Khaled Payenda, dans laquelle il déclare à un groupe de responsables que «chaque jour, un million de dollars est détourné au service des douanes de la ville occidentale de Herat».
Alokozai ajoute que les développements récents concernant la date limite établie pour le retrait complet de l’Afghanistan des troupes dirigées par les États-Unis affectent également le marché. «Non pas en raison de la possibilité du retour des talibans», selon lui, mais à cause des craintes que le départ des troupes ne plonge le pays «de nouveau dans une guerre civile».
Méfiance
«Il existe une grande méfiance entre les dirigeants et les gens au sujet de l'avenir du pays et [la crainte d’une] potentielle anarchie au niveau du gouvernement. Les commerçants n'ont pas peur du retour des talibans. Il y aura certes des restrictions sociales mais, dans l'ensemble, les talibans ont bien traité le monde des affaires dans le passé, car ils n'autorisent pas la corruption ni les activités mafieuses.»
Saifouddine Saihoon, un expert économique à Kaboul, est du même avis: il estime que la perte de capitaux et d'investisseurs aura un «impact à long terme sur l'économie de l'Afghanistan». Le pays dépend de l’aide étrangère depuis l'expulsion des talibans en 2001, lors de l’invasion américaine.
«Cela provoque un ralentissement de l'économie, la fermeture d'usines, une hausse du chômage, et cela se transforme peu à peu en une crise économique, en plus de générer une véritable peur quant à l'avenir du pays», affirme Saihoon.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com