GENEVE: L'année 2024 va être "plus compliquée" pour les fabricants de montres suisses, d'après les marques et professionnels de l'horlogerie réunis cette semaine au salon de Genève, qui s'attendent à une évolution à "deux, voire trois vitesses".
Jusqu'à lundi, 54 prestigieuses marques horlogères sont réunies au salon, appelé "Watches and Wonders", dans une ambiance un peu moins euphorique cette année après une phase d'expansion spectaculaire.
Les exportations horlogères ont battu des records trois années de suite, culminant en 2023 à 26,7 milliards de francs suisses (27,4 milliards d'euros à taux actuels). Mais en janvier, leur croissance a ralenti à 3,1%, avant de basculer en terrain négatif en février, reculant de 3,8%, selon les statistiques de la fédération horlogère suisse.
"Cela va être une année plus compliquée, il y a pas mal de facteurs conjoncturels qui ne sont pas au beau fixe", a déclaré à l'AFP Oliver Müller, fondateur de la société de conseils en horlogerie LuxeConsult.
Le climat très incertain - entre les conflits au Moyen-Orient et en Ukraine, les taux d'intérêts et l'inflation - est "moins propice à la dépense dans les produits de luxe", constate-t-il.
Plus inquiets, les consommateurs risquent de reporter leurs achats de montres, au détriment des marques de moyenne gamme, mais aussi de celles dont les prix peuvent grimper à "8.000, 9.000 voire 10.000 francs et plus", selon lui.
L'ultra-luxe, en revanche, "fonctionne toujours", précise M. Müller, les grands collectionneurs étant capables d'acheter au moins une montre à plus de 50 000 francs chaque année.
«Le temps se couvre un peu»
Ce climat plus incertain risque aussi d'accentuer un "mouvement de polarisation" déjà à l’œuvre dans ce secteur qui tourne de plus en plus "à deux vitesses, voire même à trois", explique-t-il.
Dans une étude publiée avec la banque américaine Morgan Stanley, LuxeConsult a mis en évidence que quatre marques - Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet et Richard Mille - ne cessent de gagner des parts de marchés. Une poignée de marques - dont Hermès, Vacheron Constantin (groupe Richemont) et H. Moser - affichent elles aussi une croissance impressionnante, creusant l'écart avec d'autres marques qui, au contraire, stagnent, voire perdent des parts de marchés.
"Le temps se couvre un peu pour l'industrie horlogère", a observé Guillaume de Seynes, directeur du pôle amont et participation d'Hermès, lors d'un entretien avec l'AFP, sans donner d'indication sur la marche des affaires depuis le début de l'année, dans la mesure où le groupe doit publier ses ventes trimestrielles fin avril.
Sa priorité reste d'agrandir le site de production d'Hermès en Suisse, au Noirmont, dans le canton du Jura, "pour redonner de la capacité à ce site à l'avenir, notamment pour les montres Hermès H08", ainsi que pour le nouveau modèle appelé Hermès Cut, qui a été dévoilé mardi à Genève, a-t-il précisé.
En 2023, la branche horlogère d'Hermès avait vu ses ventes bondir de 17,7%, à 611 millions d'euros, grâce au succès du modèle Hermès H08 que le groupe peine à produire en quantité suffisante pour répondre à la demande.
"Cela nous donne plutôt confiance dans l'année, même si nous sommes attentifs à ce que l'on entend à propos de l'évolution des exportations horlogères", a-t-il indiqué.
Le directeur de la marque H. Moser, Edouard Meylan, se dit lui aussi "confiant" pour 2024, même s'il estime qu'il faudra gérer cette année avec "beaucoup plus de prudence".
Le patron de cette petite marque en forte expansion - dont le prix moyen tourne autour de 40.000 francs suisses - considère qu'il faudra surveiller l'évolution des marchés de très près pour "traverser cette période un peu plus soft" et en ressortir en ayant "gagné des parts de marchés".
Les ventes de montres suisses ont été dopées depuis trois ans par les achats dits "de revanche" après la pandémie de Covid-19, une partie des ménages utilisant les économies accumulées pendant les confinements pour s'offrir des produits de luxe.
Mais pour 2024, Jon Cox, analyste chez Kepler, s'attend ce que la croissance des exportations horlogères suisses ralentisse aux environs de 4%, après une progression de 7,6% en 2023.