ALGER: Longtemps considérée comme pays de transit pour les Africains désireux de passer Outre-Mer, l’Algérie est devenue en ces temps de pandémie un eldorado pour les migrants. Ils se comptent par centaines, ces groupes humains qui, fuyant les conflits, les guerres civiles et la famine choisissent contre vents et marées de braver l'interdit pour s’installer en Algérie.
Une simple tournée à travers les quartiers populaires de la capitale renseigne sur le flux important de migrants. Et lorsque la question leur est posée alors même qu'ils sont sur leur parcours migratoire, 42 % d'entre eux déclarent que leur destination est l’Algérie, selon une étude faite par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
«Ici, on se sent en sécurité», affirme Swahili, une Nigérienne qu’Arab News en français a approchée près du centre commercial Bab Ezzouar d’Alger. «Des voisins m'ont proposé de fuir vers un pays plus sûr. Un pays où mes trois enfants ne risquent pas de mourir de faim. Sans hésiter, j’ai accepté», raconte-t-elle.
Rapatriée en 2019 vers son pays d’origine, Swahili a de nouveau bravé tous les dangers pour revenir en Algérie. «J'y ai découvert une autre vie, plus sûre en tout cas. Petit à petit, je m'y suis habituée mais très vite, on nous a rapatriés», indique la jeune maman qui fait savoir qu’elle ne supporte plus de vivre la peur au ventre. «J'ai fait d'autres tentatives pour revenir, et j'ai réussi», se réjouit-elle.
Avec l’apparition de la pandémie de Covid en 2019, l’Algérie a suspendu provisoirement, à titre humanitaire, les opérations de rapatriement et de reconduction aux frontières. «Parallèlement, les réseaux de passeurs ont profité de ce répit des pouvoirs publics, pour intensifier le transfert de milliers de migrants vers l’Algérie, à partir du Niger, en pleine pandémie de Covid-19, menaçant sérieusement la santé des citoyens», estime Kacimi Hassen, expert international des flux migratoires et des questions de sécurité dans le Sahel. Le rapatriement des migrants se fait aux frais du gouvernement algérien.
Quelques chiffres
Au total, plus de 100 000 migrants ont bénéficié d’une assistance en matière de santé, dont plus de 50 000 femmes et enfants.
Rien qu’au titre de l’année 2020, plus de 35 000 personnes ont été rapatriées dans leur pays d’origine.
(Source : ministère de l’Intérieur)
Réseaux dangereux
Comme beaucoup d’autres, Swahili vit principalement de mendicité. Les migrants sont vulnérables, souvent victimes des réseaux de traite humaine qui profitent de leur statut de clandestins pour les exploiter.
«La migration illégale a investi les réseaux sociaux où l’on recense maintenant de véritables organisations de trafic de migrants en provenance des pays du Sahel et de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao). Ces organisations offrent des services de migration à destination de l’Algérie», ajoute Kacimi Hassen.
Notre interlocuteur affirme également que ces puissants réseaux de passeurs ont réussi à transférer des milliers de migrants, en pleine pandémie de Covid-19, ce qui constitue une réelle menace pour la santé publique. «Les réseaux de passeurs, les réseaux de traite des personnes, les groupes armés et les organisations terroristes, au nord du Niger et du Mali, ont investi ce trafic très juteux qui rapporte gros», souligne-t-il.
Des migrants abandonnés dans le désert
Il va plus loin et affirme que les organisations armées et terroristes au nord de ces deux pays assurent la sécurité des convois de passeurs, moyennant de fortes rétributions. Selon l’expert, les migrants subsahariens et des pays de la Cédéao sont pris en otage par les passeurs, durant de longs trajets, pour rejoindre l’Algérie, en leur faisant traverser des milliers de kilomètres.
«Les migrants sont abandonnés par les passeurs dans le désert du Ténéré, au nord du Niger, sans vivres ni eau, à près de 100 kilomètres des frontières algériennes, et ils continuent le chemin à pied», regrette-t-il.
Durant ce périple très dangereux, plusieurs de ces migrants se perdent, et il arrive que des groupes meurent de soif, des suites des grosses chaleurs qui sévissent sur ce parcours désertique, qui pullule en outre de groupes armés.
Il confie qu’Agadez – la plus importante ville du Nord du Niger – est devenue la plaque tournante du trafic de migrants. On y retrouve environ 14 000 passeurs qui s’activent en direction de la Libye et de l’Algérie. «Le revenu de ce trafic est évalué à environ 140 millions d’euros par mois, que se partagent les réseaux de passeurs, de traite de personnes et les groupes armés, au nord du Niger», révèle Kacimi Hassen.
Une fois en Algérie, les réseaux de passeurs, qui appartiennent au banditisme, prennent le relais pour les transférer vers les wilayas (division administrative) du Sud et du Nord du pays.
«Ces réseaux de traite des personnes réussissent à obtenir des informations précises sur les limites administratives, des wilayas du centre du pays», confirme notre interlocuteur avant d’ajouter qu’ils doivent certainement détenir d’autres informations, plus importantes, puisque les membres de ce réseau se déplacent en toute liberté, sur le territoire national, depuis plus d’une année.
L’Algérie, à elle seule, accueille plus de migrants que les 28 pays de l’Union européenne (UE) selon l’OIM. On y recense plus de 42 nationalités de migrants africains, en situation illégale. Une véritable menace latente pour l’ordre public.