ANKARA: Le leader du Parti du mouvement nationaliste turc (MHP) Devlet Bahceli, un allié membre de la coalition du président Recep Tayyip Erdogan, a intensifié ses critiques mercredi contre les quelques institutions démocratiques qui subsistent en Turquie, et a appelé à la fermeture de la Cour constitutionnelle turque.
Bahceli a de plus accusé un nombre de journalistes turcs dissidents, qu’il a identifié par leurs noms complets, d’être des partisans du CHP.
Les commentaires de Bahceli coïncident avec la publication des derniers rapports annuels du Département d’État américain, dans lesquels Ankara est critiquée pour des assassinats arbitraires, des tortures et des restrictions à la liberté d’expression, soulignant le recul démocratique du pays ainsi que son piètre bilan en matière de droits de l’homme.
Le ministère turc des Affaires étrangères affirme pour sa part que le rapport américain «partial» serait «non fondé». Aucune réaction officielle aux déclarations de Bahceli n’a toutefois émané du gouvernement jusque-là.
Bahceli a réagi avec fureur à la décision de la Cour constitutionnelle de renvoyer au procureur un acte d’accusation visant à interdire le Parti démocratique du peuple pro-kurde (HDP), en raison d’un vice de procédure.
Le 17 mars, le procureur Bekir Sahin a déposé une mise en accusation pour interdire le HDP, le troisième plus grand parti au parlement turc, et ses plus de 600 membres pour des liens présumés avec le Parti interdit des travailleurs du Kurdistan (PKK).
L'interdiction du HDP est un objectif de longue date du MHP, mais 71,8% des personnes interrogées dans les régions à majorité kurde du sud-est et de l'est de la Turquie s'y opposent, selon un sondage mené entre le 18 et le 21 mars par le Centre de recherche socio-politique installé à Diyarbakir.
«Il est clair que la Cour constitutionnelle est indifférente et très éloignée de la lutte de la Turquie contre le terrorisme et le séparatisme», s’insurge Bahceli dans une déclaration écrite le 31 mars. «Tout comme l’interdiction du HDP, la suspension de la Cour constitutionnelle est désormais une cible qui ne devrait pas être reportée».
«Les antécédents de Bahceli indiquent que nous ne devrions jamais le prendre à la légère», a tweeté le journaliste Ragip Soylu en réaction.
Soner Cagaptay, un universitaire turc de l'Institut de Washington pour la politique au Proche-Orient, croit que Bahceli est actuellement désespéré car sa base électorale se dirige vers le parti Good (IYI), un parti formé en 2017 par des politiciens qui ont quitté le MHP et la principale opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), dans le but de défier Erdogan par le biais d’un programme conservateur, de centre-droit, laïque et nationaliste.
«Depuis que le parti IYI est devenu un acteur plus important sur la scène nationaliste turque, grâce au style de leadership de son président Meral Aksener, Bahceli pense qu'en adoptant une attitude très dure sur la question kurde et sur la Cour constitutionnelle, il peut empêcher la fuite de ses électeurs », explique Cagaptay à Arab News.
Le parti IYI devrait retirer un nombre important de voix au MHP lors des prochaines élections, prévues en 2023. Un sondage publié jeudi a montré que 14% des électeurs voteraient pour le parti IYI contre 9,4% pour le MHP. Pour être représentés au parlement, les partis politiques doivent obtenir au moins 10% des voix.
Selon Cagaptay, Bahceli adoptera probablement une position encore plus dure sur l'identité kurde pour attirer les électeurs de droite. Le MHP a une histoire politique violente, fortement opposé aux Kurdes et aux gauchistes et soutenu par une branche armée ultra-nationaliste connue sous le nom des loups gris.
«Mais le problème en Turquie ne concerne plus le conflit kurde, mais plutôt du fait d'être pro ou anti-Erdogan», a confié Cagaptay. «Il est à présent évident que la base de soutien de Bahceli n’approuve certainement pas son alliance électorale avec Erdogan».
Les derniers commentaires de Bahceli ont aussi suscité la colère de l'opposition. «Déclarer la Cour constitutionnelle une «institution qui doit être dissoute» est le plus grand coup qui puisse être infligé à la démocratie», se désole l'ancien premier ministre Ahmet Davutoglu, chef du Parti séparatiste du futur.
Dans une déclaration vidéo, Davutoglu avertit par ailleurs qu'à moins que les partis politiques et les militants ne publient une déclaration de soutien pour la Cour constitutionnelle, «un processus qu'aucun de nous n'approuverait sans aucun doute, nous mènerait vers un régime autoritaire où la démocratie n’a aucun rôle».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com