Rwanda: «on a protégé les génocidaires», raconte un ex-officier français

Guillaume Ancel, ancien officier au Rwanda (Capture d’écran, AFP).
Guillaume Ancel, ancien officier au Rwanda (Capture d’écran, AFP).
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Publié le Samedi 27 mars 2021

Rwanda: «on a protégé les génocidaires», raconte un ex-officier français

  • Dans son livre «Rwanda, la fin du silence», Guillaume Ancel raconte son expérience et dénonce ce qu'il assure être les mensonges de l'Etat français
  • Au lendemain de la publication du rapport Duclert, qui met en lumière les «responsabilités lourdes et accablantes» de Paris mais écarte une complicité de génocide, il raconte son histoire

PARIS: Lui a refusé de se taire. Guillaume Ancel, ancien officier au Rwanda, a publié en 2018 son livre « Rwanda, la fin du silence », dans lequel il raconte son expérience et dénonce ce qu'il assure être les mensonges de l'Etat français.

Au lendemain de la publication du rapport Duclert, qui met en lumière les « responsabilités lourdes et accablantes » de Paris mais écarte une complicité de génocide, il raconte son histoire. Lorsqu'il arrive à Kigali en 1994 au sein de l'opération Turquoise, officiellement présentée comme une mission humanitaire, il est capitaine d'artillerie, détaché au sein d'une unité de la Légion étrangère pour guider les frappes aériennes. 

QUESTION : Quand avez-vous eu la conviction que Turquoise n'était pas strictement humanitaire ? 

REPONSE : La question s'est posée dans le sens inverse : je suis parti pour une mission offensive, pour mener un raid jusqu'à Kigali. Donc je pars faire la guerre au Rwanda. Et je suis mal à l'aise quand j'arrive, d'abord parce que j'entends qu'on parle de mission humanitaire, ensuite parce qu'on n'est pas du bon côté : notre ennemi c'est le FPR (Front patriotique rwandais de Paul Kagamé, ndlr), pas les génocidaires. J'ai imaginé les troupes françaises qui débarquent en Provence en 1944 et se retrouvent du côté des nazis ! L'armée gouvernementale nous reçoit comme des amis et voudrait qu'on les aide à finir le travail. Ils ont du sang jusqu'au cou et ils s'en vantent !

Q: Vous êtes le seul à réagir comme ça ? 

R: J'ai commencé comme observateur au Cambodge, j'ai guidé les frappes aériennes à Sarajevo: je suis obligé de prendre de l'altitude. C'est mon logiciel, je n'écoute jamais trop les discours officiels. Mais mes camarades sont dans l'action. Ils n'ont pas une minute pour se poser. Et à aucun moment je ne leur dis que quelque chose ne va pas. Je n'en ai pas encore conscience. 

Q: Ensuite ?

R: La France change d'attitude et passe le message à l'armée rwandaise qu'on ne viendra pas se battre avec elle. Ils étaient vraiment persuadés que c'est ce qu'on venait faire... Et quand on créé la Zone humanitaire sûre (ZHS), on voit se réfugier toutes les unités des forces armées rwandaises. C'est une blague ? On est en train de leur offrir un havre de paix ? Le commandant m'explique qu'on lui a demandé d'escorter à la frontière du Zaïre (devenu RD Congo, ndlr) les membres du gouvernement, les génocidaires. On a envie de les arrêter mais on a ordre de les escorter à la frontière. Il y a la nausée qui monte et les ONG qui nous posent des questions. Et là j'assiste à une livraison d'armes. On me demande de détourner l'attention des journalistes pendant que le convoi d'armes part. 

Q: Où allez-vous après le Rwanda ? 

R: Je prépare une mission à Sarajevo. La fumée commence à se dissiper et on comprend ce qui s'est passé. Étrangement, la parole est très libre au sein de l'armée. On a des discussions dures. On m'a juste interdit d'en parler à l'extérieur. En 1998, j'apprends qu'il y a une mission parlementaire présidée par Paul Quilès et j'ai envie d'être entendu. Le ministère m'appelle et me dit que si je veux parler, je dois quitter l'armée. J'aurais pu démissionner à ce moment-là, mais j'ai eu le sentiment qu'ils ne posaient pas les bonnes questions et que cette mission ne servait à rien. J'ai quitté l'armée en 2005, sans contentieux avec l'armée. 

Q: Qu'est ce qui déclenche la rédaction du livre ? 

R: Il y a un colloque présidé par Paul Quilès auquel je participe. Et lorsqu'il entend mon témoignage, il me recommande de ne pas troubler l'image qu'ont les Français de notre intervention au Rwanda. Il m'a fallu 20 ans pour comprendre que ce qu'on avait fait n'était pas bien et que les décideurs politiques n'avaient pas l'intention d'assumer. Peu de temps après, on m'a menacé en me disant que ce serait mieux que je ne perde pas mon travail. Mais j'ai trouvé inacceptable que les Français ne sachent pas ce qu'on a décidé en leur nom. Je me suis mis en tête d'écrire mon témoignage, publié en 2018.

Q: Comment vos anciens collègues l'ont-ils accueilli ?

R: Un ami m'a dit et c'était emblématique: « la guerre est une succession de saloperies. L'armée est payée pour les faire et pour se taire. Si tu dis la vérité, tu es un traître et tu mérites deux balles dans la tête » (...). Certains officiers m'ont dit en privé qu'ils ne mettaient pas ma parole en doute, mais que tout ça allait nous retomber dessus. 

Q: Vous êtes en paix avec vous-même ? 

R: Non. Je ne le serai pas tant qu'on n'aura pas permis aux Français de juger par eux-mêmes de ce qui s'est passé. Il faut ouvrir les archives à tous les chercheurs, pas à une douzaine de personnes. Le rapport Duclert n'est qu'une étape mais elle est intéressante. Il permet au président de reconnaître publiquement la faillite de l'Elysée. Mais il reste à faire une analyse complète des faits, expliquer pourquoi on a protégé les génocidaires, le rôle des militaires. Je trouve aussi gênant qu'on ne parle pas de complicité morale et politique de génocide, même s'il est évident qu'il n'y a pas eu de complicité au sens juridique. En tout cas, il faut continuer sur cette volonté politique de chercher la vérité.


Législatives en France: manifestations contre l'extrême droite, tensions dans la coalition de gauche

Des manifestants se rassemblent lors d'un rassemblement contre l'extrême droite après que le président français a convoqué des élections législatives suite aux gains significatifs des partis d'extrême droite aux élections du Parlement européen, à Paris le 15 juin 2024. Photo Sameer Al-Doumy AFP)
Des manifestants se rassemblent lors d'un rassemblement contre l'extrême droite après que le président français a convoqué des élections législatives suite aux gains significatifs des partis d'extrême droite aux élections du Parlement européen, à Paris le 15 juin 2024. Photo Sameer Al-Doumy AFP)
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  • «La République en flammes», «L'extrême droite est un danger mortel», proclamaient des banderoles de manifestants à Nancy (est), où plus d'un millier de personnes ont commencé à défiler samedi
  • Pour barrer l'extrême droite, les principaux partis de gauche, de La France Insoumise (LFI, gauche radicale) aux socialistes en passant par les Ecologistes, ont réussi à s'allier à la hâte

PARIS : Six jours après l'annonce-choc de législatives anticipées en France, des dizaines de milliers de personnes sont attendues samedi dans plusieurs villes pour défiler contre l'extrême droite, donnée favorite du scrutin devant la nouvelle coalition de gauche qui commence à être fissurée par de premières tensions.

Entre 300.000 à 350.000 personnes sont attendues dans la rue samedi, dont 50.000 à 100.000 dans la capitale, selon une source policière, et environ 200 manifestations sont prévues au total dans le pays pendant le week-end, à l'approche des législatives des 30 juin et 7 juillet.

«La République en flammes», «L'extrême droite est un danger mortel», proclamaient des banderoles de manifestants à Nancy (est), où plus d'un millier de personnes ont commencé à défiler samedi.

«On est à un moment historique», a déclaré à la radio France Inter Marylise Léon, la cheffe de la CFDT, l'un des cinq syndicats qui ont appelé à la mobilisation.

La dissolution de l'Assemblée nationale, décidée dimanche par le président Emmanuel Macron après la débâcle de son camp aux européennes, continue elle de provoquer des secousses politiques.

Pour barrer l'extrême droite, les principaux partis de gauche, de La France Insoumise (LFI, gauche radicale) aux socialistes en passant par les Ecologistes, ont réussi à s'allier à la hâte.

Mais leur coalition baptisée Nouveau Front populaire a connu ses premières tensions samedi après la décision de LFI de ne pas réinvestir plusieurs figures opposées au chef de file du parti, Jean-Luc Mélenchon.

Les élus mis à l'écart ont dénoncé «une purge» et accusé M. Mélenchon de «régler ses comptes».

D'autres ont déploré qu'Adrien Quatennens, proche de ce leader de la gauche radicale, ait lui été réinvesti alors qu'il avait été condamné en 2022 à quatre mois d'emprisonnement avec sursis pour violences conjugales.

«Une purge»

«Extrêmement choquée» par cette «purge», la patronne des Ecologistes Marine Tondelier a convoqué les instances de son parti. Le patron des socialistes Olivier Faure a de son côté jugé sur X «scandaleuse» l'«éviction» des députés LFI.

Favorable à l'union de la gauche malgré son opposition à LFI, l'ancien président socialiste de la République François Hollande a parallèlement annoncé sa candidature aux législatives en Corrèze (centre).

Le président Macron, qui participe ce week-end à un G7 en Italie et à un sommet sur l'Ukraine  en Suisse, a qualifié les divergences à gauche de «spectacle de grande incohérence»: «On est chez les fous, ce n'est pas sérieux».

Le programme du Nouveau Front populaire comprend une abrogation de la réforme des retraites menée sous la présidence Macron, un salaire minimum à 1.600 euros net (contre 1.383 euros actuellement) mais aussi la lutte contre l'antisémitisme et la condamnation des «massacres terroristes du Hamas» en Israël, deux sujets qui ont empoisonné les relations à gauche.

Le président du Rassemblement national Jordan Bardella, qui vise le poste de Premier ministre à 28 ans, a estimé que seules «deux formations politiques» pourront «composer un gouvernement»: la sienne, favorite des sondages, et cette nouvelle union de la gauche.

La droite républicaine, elle, se déchire depuis l'appel du président des Républicains Eric Ciotti à s'allier avec le RN. Vendredi, le tribunal de Paris a provoqué un énième rebondissement en invalidant son exclusion.

- Appel d'un footballeur -

Alors que l'Euro de football a démarré vendredi soir en Allemagne, l'attaquant de l'équipe de France Marcus Thuram a appelé à «se battre pour que le RN ne passe pas», une prise de position rare pour un sportif de haut niveau.

Le 1er mai 2002 près d'un million de personnes avaient manifesté en France après la qualification du dirigeant d'extrême droite Jean-Marie Le Pen pour le second tour de l'élection présidentielle.

Aujourd'hui, c'est le «choc des européennes», avec un score cumulé de l'extrême droite de 37,8% et la perspective d'un «RN au portes du pouvoir», qui poussent les opposants dans la rue.

Jordan Bardella a dénoncé vendredi des appels «extrêmement dangereux» à «l'insurrection», tout en se disant «très attaché à la liberté d'expression».


France: L'Aïd amer des musulmans de Nice

Une photo prise le 25 avril 2016 montre la mosquée de l'institut En-Nour à Nice, dans le sud-est de la France. (Photo Valery Hache AFP)
Une photo prise le 25 avril 2016 montre la mosquée de l'institut En-Nour à Nice, dans le sud-est de la France. (Photo Valery Hache AFP)
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  • «On dirait qu'on n'est pas des citoyens à part entière», explique l'imam Otmane Aissaoui, président de l'Union des musulmans des Alpes-Maritimes (Umam), dénonçant «des actes islamophobes» dans les lycées ou les universités
  • Avec l'arrivée en septembre du préfet Hugues Moutouh, puis les contre-coups de l'attaque du Hamas le 7 octobre et de la riposte israélienne dans la bande de Gaza, la situation s'est tendue

NICE, France : «Il n'y a plus de joie». Bousculés ces derniers mois par les discours politiques et les pressions incessantes de l'administration, les quelque 20.000 musulmans de Nice, dans le sud-est de la France, se préparent à célébrer une fête de l'Aïd teintée d'amertume.

«On dirait qu'on n'est pas des citoyens à part entière», explique l'imam Otmane Aissaoui, président de l'Union des musulmans des Alpes-Maritimes (Umam), dénonçant «des actes islamophobes» dans les lycées ou les universités, «les femmes avec le foulard vues d'un mauvais œil, les contrôles inopinés dans les mosquées... On le sent plus ici qu'ailleurs».

Le malaise n'est pas nouveau. L'islam a régulièrement été un thème de campagne politique dans la région et les attentats du 14 juillet 2016 puis de la basilique Notre-Dame en 2020 ont provoqué des réactions de haine qui ont visé jusqu'aux proches des musulmans tués sur la Promenade des Anglais.

Cependant, avec l'arrivée en septembre du préfet Hugues Moutouh, puis les contre-coups de l'attaque du Hamas le 7 octobre et de la riposte israélienne dans la bande de Gaza, la situation s'est tendue.

Alors que le maire Christian Estrosi faisait flotter le drapeau israélien sur le fronton de la mairie, le préfet a inlassablement interdit les manifestations pro-palestiniennes, faisant valoir que le département était «dans le trio de tête» en matière d'actes antisémites.

Retoquées à chaque fois par le tribunal administratif, ces interdictions n'ont cessé qu'en janvier.

Puis, en février, M. Moutouh a ordonné la fermeture temporaire d'une petite librairie musulmane, fustigeant la présence de livres fondamentalistes. Un arrêté lui aussi retoqué par le tribunal administratif: les livres incriminés sont aussi en vente dans des librairies grand public.

Evoquant une grande incompréhension, la gérante a invité le préfet à boire le thé dans sa boutique, où elle vend depuis deux décennies foulards, abayas, tapis de prières et livres sur la spiritualité. Mais elle n'a jamais reçu de réponse.

L'absence de dialogue a aussi dominé la crise autour du collège Avicenne, un établissement musulman hors contrat accueillant une centaine d'élèves, dont le préfet a ordonné la fermeture en mars, à la demande du ministère de l'Education nationale.

- «Un sentiment d'injustice» -

La qualité de l'enseignement n'est pas en cause, d'autant que les élèves brillent à l'examen du brevet puis dans les lycées publics. Mais Avicenne a tâtonné pour répondre aux exigences de la loi contre le séparatisme en matière de transparence sur l'origine de ses financements.

Là aussi, le tribunal administratif a estimé en référé que les erreurs relevées dans la comptabilité de l'établissement ne justifiaient pas la fermeture, en des termes laissant peu de suspense quant à la décision sur le fond, attendue fin juin.

Paradoxalement, le collège a vu ses candidatures doubler et va créer une classe supplémentaire en septembre. Mais il garde «un sentiment d'injustice» et «d'acharnement», explique son directeur Idir Arab: «Vous avez un petit projet qui marche dans un quartier où tout s'effondre, pourquoi aller le fermer ?»

Le collège, où les enseignants sont de toutes confessions et les tenues vestimentaires très diverses, réclame en vain depuis des années à passer sous contrat. «Ils parlent de séparatisme mais c'est nous qui subissons ce séparatisme», regrette M. Arab, également blessé par la condamnation sans réserve du collège par M. Estrosi.

Dans ce contexte, la proposition du maire de Nice de louer de nouveau la vaste salle du palais Nikaïa pour la fin du ramadan, envoyée aux associations cultuelles moins de 48 heures avant la fête, est restée lettre morte en avril.

De même, les options se réduisent pour le sacrifice de l'Aïd al-Adha, ou Aïd el-Kébir, qui débute dimanche en France, après que le dernier site agréé dans le département pour accueillir les fidèles a été épinglé par la justice. Plus de 600 ovins et 45 bovins y ont été saisis fin mai.

Par comparaison, cinq sites sont agréés dans le Var voisin. Résultat: à Nice, beaucoup de familles se sont résolues à envoyer l'argent du sacrifice à l'étranger.

Contactés par l'AFP, M. Estrosi n'a pas donné suite tandis que M. Moutouh n'a pas pu répondre en raison de la réserve électorale.


«Nouveau Front Populaire» : comment la gauche a refait l'union en quatre jours

Le Nouveau Front Populaire annonce aussi vouloir un "protectionnisme écologique et social aux frontières de l'Europe" et "mettre fin aux accords de libre-échange".  (AFP)
Le Nouveau Front Populaire annonce aussi vouloir un "protectionnisme écologique et social aux frontières de l'Europe" et "mettre fin aux accords de libre-échange". (AFP)
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  • Le Nouveau Front Populaire, alliance des principales forces de gauche, a dévoilé vendredi son programme pour les législatives
  • Il promet sur le plan national d'abroger les réformes des retraites, de l'assurance-chômage et de l'immigration

PARIS: En 2022, les négociations pour former la Nupes avaient duré 13 jours - et 13 nuits. En 2024, face au risque qui n'a jamais été aussi fort de voir l'extrême droite arriver au pouvoir, les partis de gauche auront réussi à s'entendre autour d'un "Nouveau Front populaire" en quatre jours. Non sans tensions.

"Il me faut une cigarette. J'ai pas dormi depuis deux nuits", soupire jeudi Sébastien Vincini, secrétaire national du PS, devant le siège des Ecologistes, rue des Petits Hôtels à Paris.

Dès dimanche soir, à peine le choc de la dissolution de l'Assemblée nationale passé, la patronne des Ecologistes Marine Tondelier annonce qu'elle "va prendre les uns et les autres, à deux, à trois" pour tenter de former une union à gauche face au Rassemblement national.

Un pari des plus risqués alors que depuis plusieurs mois et l'explosion de la Nupes, les relations sont au plus bas entre communistes, Insoumis, socialistes et Ecologistes. Voire exécrables.

Après des semaines de campagne pour les européennes où les Insoumis ont régulièrement attaqué Raphaël Glucksmann, tête de liste PS-Place publique, et tenté de siphonner le vote écologiste, les bises et les retrouvailles sont fraiches quand LFI arrive chez les écolos lundi après-midi.

"Laissez-les passer, on les a invités!", lance Marine Tondelier aux journalistes qui s'agglutinent autour de la délégation conduite par le coordinateur du mouvement Manuel Bompard et la cheffe des députés LFI, Mathilde Panot.