MAMOUDZOU: Mayotte est le territoire le plus pauvre de France, malgré l'accession au statut de département le 31 mars 2011, qui avait donné l'espoir d'un rattrapage social à cette île de l'océan Indien.
Dix ans après son passage au statut de département, 77% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Le SMIC horaire brut est à 7,74 euros (contre 10,15 euros dans les autres départements), la couverture maladie universelle et le congé paternité de 11 jours n'existent pas.
La seconde vague de la Covid-19 a été particulièrement sévère à Mayotte, qui dispose de ressources hospitalières limitées.
L'Etat s'était engagé à une départementalisation « progressive et adaptée » sur une durée de 20 à 25 ans. Mais c'est trop long pour les Mahorais, qui ont accepté un certain nombre d'impôts et de taxations supplémentaires avec la départementalisation.
« On est toujours à la traîne. Il y a des spécificités concernant le handicap, les conventions collectives, les Codes de la Sécurité sociale et de l'Action sociale ne s'appliquent toujours pas ! Par contre, quand il s'agit de ponctionner, le droit commun s'applique à la taxe d'habitation ou l'impôt sur le revenu ! », fulmine El Anzize Hamidou, secrétaire général de l'UD-FO.
Appel d'air
Depuis 2011, la situation a un peu évolué, souvent sous la pression des mouvements sociaux, de l'action syndicale et du lobbying politique. La surrémunération des salaires, portée à 40% pour les fonctionnaires, a été achevée en 2017. Et le Code du travail de droit commun s'applique dans presque sa globalité depuis 2018. Les allocations familiales sont alignées depuis le 1er janvier sur celles de l'Hexagone.
Mais la progression vers l'égalité sociale est lente. « À chaque fois, Paris nous oppose l'argument de l'appel d'air quand on réclame l'équité et la justice pour les Mahorais. C'est insupportable ! On veut en finir avec cette aberration », souligne Issa Issa Abdou, 4e vice-président du conseil départemental chargé de l'action sociale, la solidarité et la santé.
Un long chemin jusqu'à la départementalisation
Mayotte, dans l'Océan Indien, est la seule île de l'archipel des Comores qui, d'élections en référendums, s'est au cours des ans toujours prononcée pour son maintien au sein de la communauté française, jusqu'à devenir en mars 2011 le 101e département français et le 5e d'Outre-Mer.
En 1946, l'archipel des Comores, colonie française, obtient le statut de territoire d'outre-mer.
Lors du référendum sur la Constitution de 1958, les quatre élus mahorais de l'Assemblée territoriale des Comores déposent une motion réclamant la départementalisation.
Puis, lors du référendum de décembre 1974 sur l'autodétermination des Comores, le résultat île par île confirme le souhait de Mayotte de rester attachée à la République française, à une majorité de 63,8% des suffrages exprimés, contre 94,6% voix en faveur de l'indépendance dans les trois autres îles (Grande Comore, Anjouan et Mohéli).
Alors que le Gouvernement des Comores déclare unilatéralement l'indépendance en 1975, sans l'accord des élus mahorais, la France organise à nouveau deux consultations à Mayotte, en 1976. Le 8 février, 99,4% des électeurs votent pour le maintien de Mayotte au sein de la République française.
Mayotte devient par la loi du 24 décembre 1976 une collectivité territoriale au statut provisoire, avec un régime de « spécialité législative » propre aux territoires d'outre-mer (lois et règlements métropolitains pas applicables directement).
Le 2 juillet 2000, la population de Mayotte approuve à 73% l'accord sur l'avenir de Mayotte signé en janvier 2000 par le gouvernement PS et les principaux partis politiques de l'île et devient collectivité départementale en 2001, puis collectivité d'outre-mer en 2003.
Le dernier scrutin consacrant Mayotte dans la communauté française et faisant passer l'île du statut de collectivité d'outre-mer à celui de département, sera le référendum du 29 mars 2009, avec 95,2% de votes favorables. Deux ans plus tard, le changement de statut sera officiel.
Un appel d'air concrétisé par une forte immigration clandestine en provenance de l'Union des Comores et de l'Afrique des Grands Lacs, principalement. Convaincre le gouvernement d'accélérer l'égalité sociale n'est donc pas aisé.
En 2015 et 2016, c'est au prix de mouvements de grève et de blocages de l'île que le principe de l'alignement du Code du travail de Mayotte sur celui de droit commun a été accepté.
Solidarité nationale
Pour El Anzize Hamidou, c'est à l'État d'agir pour l'alignement des droits sociaux. « L'article 73 de la Constitution nous donne raison. En tant que département, les Mahorais doivent naturellement bénéficier de la solidarité nationale et de l'égalité républicaine ».
D'autres épinglent les parlementaires pour leur immobilisme, voire leur désintérêt pour ce sujet. « Chaque année, lors du vote de la loi de finances et du budget de la Sécurité sociale, la possibilité de déposer des amendements est restreinte », répond le sénateur RPDI Thani Mohamed Soilihi.
Une solution pourrait permettre d'accélérer la course vers l'égalité : des assises pour discuter et hiérarchiser les problématiques sociales.
« La mairie de Mamoudzou l'a fait pour la sécurité, tout le monde s'est exprimé et des propositions ont été envoyées au gouvernement », affirme Daniel Zaïdani, conseiller départemental de Pamandzi.
Une proposition qui se rapproche de celle de Carla Baltus, la présidente du Medef : « Nous ne sommes pas contre un alignement plus rapide. Mais il faut une étude d'impact au préalable. Lorsque le Code du travail de droit commun est entré en vigueur, on est passé aux 35 h. Le résultat, c'est que le salaire net des salariés a baissé », explique-t-elle.
La compensation réalisée par l'État dans l'Hexagone ne s'est pas faite à Mayotte. Un manque d'investissement de l'État dénoncé par les syndicats.
La Cour des comptes dans un rapport sur la départementalisation en 2016 notait que l'effort budgétaire par habitant à Mayotte (3964 euros) était le plus faible des 5 départements d'Outremer (plus de 5000 euros pour les autres) sur l'année 2014.