BRUXELLES: « Un choc terrible » et une Belgique qui ne sera plus jamais la même : l'ancien Premier ministre Charles Michel se dit « encore marqué » par les attentats jihadistes de mars 2016 à Bruxelles, à la veille du cinquième anniversaire lundi de ces attaques.
Trente-deux personnes ont été tuées et plus de 340 blessées dans ces attentats-suicides le 22 mars 2016. Perpétrés par la cellule jihadiste ayant déjà attaqué Paris le 13 novembre 2015 (130 morts), ils ont été revendiqués par l'organisation Etat islamique (EI).
Selon Charles Michel, qui dirigea le gouvernement belge de 2014 à 2019, « le pays n'est plus le même après ces attentats. La menace considérée jusque-là comme théorique est bien réelle ».
Premiers instants, premières décisions
« C'est un choc terrible d'être confronté à une telle situation, je suis encore marqué par le moment où je reçois l'information », déclare l'actuel président du Conseil européen (instance représentant les 27 Etats membres de l'UE).
« Quand le ministre de l'Intérieur me téléphone pour m'informer, dans les minutes qui suivent l'attaque de Zaventem, je pars directement pour Bruxelles, en direction du centre de crise. Au moment où nous rentrons en ville, en circulant en voiture près du métro, nous roulons sur des débris de verre et j'apprends qu'il y a également eu une explosion là ».
« On a alors vraiment l'impression que d'autres attaques vont encore suivre, (...) dans une action coordonnée, synchronisée. Autour de 11 heures/midi seulement, j'ai l'intuition qu'il n'y aura pas d'autres attaques dans la journée ».
« Dans les jours suivants on vit un peu en état de siège, la sécurité est devenue une obsession », poursuit le dirigeant libéral.
Parmi les mesures décidées, il cite l'allongement des délais de garde à vue et la possibilité des perquisitions de nuit dans les affaires terroristes, ainsi qu'une présence renforcée des militaires dans les rues (un déploiement entamé en janvier 2015 après le démantèlement de la cellule jihadiste de Verviers).
Cinq ans après les attentats de Bruxelles , la «reconstruction» d'un survivant
Quatre mois d'hôpital, treize opérations, une jambe complètement insensible mais la chance d'être encore en vie. Sébastien Bellin, grièvement blessé en mars 2016 dans les attentats jihadistes à Bruxelles, poursuit cinq ans plus tard sa "reconstruction".
« Je serai handicapé à vie, ce n'est pas facile mais je l'ai accepté. C'est un cadeau d'avoir une deuxième chance dans la vie », affirme avec philosophie ce Belge de 42 ans, ex-basketteur professionnel, lors d'une rencontre à son domicile de Tervuren, près de Bruxelles.
Ce matin-là, Sébastien Bellin, sportif reconverti dans la création d'applications numériques, doit prendre un avion à destination de New York pour un rendez-vous avec les investisseurs américains qui viennent de racheter sa PME.
Sébastien Bellin se retrouve au sol, les jambes en sang, au milieu des débris tranchants et de la poussière. Il a gardé en tête l'image d'une dame morte à côté de lui. « Je vois encore ses bagues, et très clairement son visage, la couverture dont elle était recouverte », raconte-t-il.
Bilan : la perte du fémur droit et du tibia gauche, remplacés par des broches métalliques. Il ne sent plus du tout sa jambe gauche, et dans l'effort doit compenser avec la droite, dont les muscles souffrent.
Cinq ans après les attentats, la vie de Sébastien Bellin est toujours rythmée par les séances de kinésithérapie, avec l'incertitude qui plane sur le remboursement des frais engagés pour une partie des soins (chez des soignants non conventionnés).
« L'Etat aurait pu faire un bien plus grand effort, après cinq ans on n'a toujours pas une solution concrète », déplore-t-il.
Tempête politico-diplomatique
Un des trois kamikazes du 22 mars avait été arrêté en Turquie puis expulsé, à l'été 2015, mais il est passé sous les radars des services de renseignement à son retour en Belgique via les Pays-Bas. Ce qui suscite une vive polémique deux jours après les attentats. Les autorités belges avaient été « informées que cet individu était un combattant terroriste étranger », assure le président turc Recep Tayyip Erdogan.
A Bruxelles, les ministres Jan Jambon (Intérieur) et Koen Geens (Justice) offrent leur démission. Charles Michel refuse. « Les officiers ne quittent pas le navire dans la tempête, il n'y avait aucune faute personnelle ni de l'un ni de l'autre », dit aujourd'hui l'ancien chef du gouvernement.
« Il aurait été irresponsable d'ajouter de la crise politique dans un moment de pression sécuritaire maximale. La Belgique n'avait pas connu depuis la Seconde Guerre mondiale d'actes de violence d'une telle nature ».
Dans les années 1980 le pays a connu une série de tueries (dites « du Brabant », faisant 28 morts), jamais élucidées, et un épisode terroriste (avec les Cellules communistes combattantes, deux morts dans l'un des attentats) qui n'ont pas eu l'ampleur des attaques de l'EI.
La Belgique « Etat défaillant »?
Dès le lendemain du 13 novembre, l'enquête révèle qu'une partie des assaillants sont originaires de Bruxelles. La commune de Molenbeek est pointée du doigt dans le monde entier comme un repaire de jihadistes. Le site d'information américain Politico qualifie la Belgique de « failed state » (Etat défaillant), une expression largement reprise.
Pour Charles Michel, « cette perception était probablement un fruit du passé », en lien la réputation d'une Belgique ingouvernable. « Dans l'imaginaire international, il y avait encore le souvenir frais des 541 jours nécessaires à mon prédécesseur pour former un gouvernement (en 2010-2011) », affirme-t-il.
En réalité, « j'avais des encouragements, y compris de la part des Etats-Unis et du Royaume-Uni, sur ce tournant sécuritaire que nous prenions » depuis 2015.