GAUJACQ: Des camélias plantés par milliers sur d'anciennes terres agricoles, une vieille demeure transformée en poste d'analyses : la maison Chanel développe dans un « laboratoire à ciel ouvert » à Gaujacq (Landes), culture et recherches sur la fleur emblématique de sa créatrice, Coco Chanel.
Sur ces riches terres de Chalosse, au sud-est de Dax, le mois de mars correspond au pic de floraison du Camellia Japonica Alba Plena. Ils sont là une poignée de cueilleurs à ramasser à la main les fleurs blanches, délicates et inodores, aux pétales symétriquement imbriqués. Il faudra 2 200 fleurs pour créer un kilo d'actif hydratant, entrant dans la composition d'une gamme de crèmes créée en 2009.
Dans sa « Ferme aux camélias », le « laboratoire à ciel ouvert » de Chanel compte des milliers de camélias Alba Plena et Oleifera. Ces derniers, tout juste plantés, sont destinés à fournir de l'huile de camélia, une production aujourd'hui faite en Chine et que la marque de luxe dit vouloir relocaliser à terme dans les Landes.
Sur le domaine, 40 hectares sont cultivés sans intrant chimique et en agroforesterie, avec introduction d'autres arbres pour l'équilibre de l'éco-système et la biodiversité. Et un tout nouveau laboratoire de phytoanalyses vient d'intégrer une bâtisse rénovée. « L'Alba Plena est le point de départ mais l'idée est d'étudier les molécules d'autres variétés de plantes », précise Nicola (bien Nicola) Fuzzati, directeur innovation des cosmétiques, lors d'une visite presse.
Pour créer ce centre de culture et expérimentation, fermé au public mais qui pourrait s'ouvrir aux lycées agricoles, trois exploitations ont été rachetées ces dernières années par Chanel à des producteurs de maïs, canards et poulets partant à la retraite.
« Le fleuriste de la rue Cambon »
Amateurs de fleurs et touristes connaissaient déjà le chemin de Gaujacq après l'installation en 1985 de l'expert botaniste Jean Thoby. C'est d'ailleurs grâce à lui que Chanel a fait le choix de ce village de 450 habitants.
Ce pépiniériste de renommée mondiale qui travaille avec la marque depuis 20 ans, y conserve, dans son Plantarium attenant à un château du XVIIe siècle, une collection exceptionnelle de camélias, « 2 000 variétés sur cinq hectares ».
« Le Alba Plena est très compliqué à cultiver et il a fallu 10 ans d'expérimentation avant de réussir à mettre une culture en place à partir de deux pieds-mères. Sans Chanel, c'est une espèce qu'on aurait peut-être perdue », précise-t-il sans manquer de saluer le climat landais qui permet, selon lui, de faire pousser des plantes des cinq continents.
Ses premiers camélias viennent de la collection familiale à Nantes. Ses parents y avaient racheté les pépinières Guichard, réputées pour la beauté de ces arbustes originaires d'Asie présentés à l'Exposition universelle de Paris en 1900. Gabrielle Chanel les aurait peut-être admirés là, ou « plus sûrement chez le fleuriste de la rue Cambon à Paris qui se fournissait chez eux », rapporte Jean Thoby, dépité d'avoir perdu, lors d'un dégât des eaux, une facture attestant de leur prestigieuse cliente.
Jusqu'ici restée plutôt confidentielle, la présence de Chanel n'apparaît encore sur aucun dépliant touristique. Mais le fait que la célèbre maison communique désormais sur les lieux est « une chance pour Gaujacq et pour le château, ça amène une notoriété internationale et sans doute de nouveaux visiteurs », se réjouit Philippe Casedevant, propriétaire et guide de cette demeure seigneuriale avec galerie à l'italienne.
Chanel a financé la rénovation des salles de réception qui, en contrepartie, n'accueilleront plus de mariages mais des événements privés de la marque ou des manifestations culturelles ouvertes au public.
Côté Plantarium Thoby, le chemin de ronde aux camélias, aujourd'hui peu accessible, devrait s'ouvrir véritablement aux visites l'an prochain. Via le mécénat Chanel, cette partie du site se refait une beauté, en s'habillant de tableaux informatifs sur les variétés fleurissant dans cet ancien camp gallo-romain.