BAGDAD: Dans la sacristie de la cathédrale chaldéenne Saint-Joseph du quartier de Karrada à Bagdad, le révérend Nadhir Dako laisse échapper un soupir fatigué.
En plus d’avoir travaillé d’arrache-pied avec son équipe de volontaires afin de préparer l'arrivée du pape François, il se sent abattu par les difficultés croissantes auxquelles qui minent la vie des Irakiens en général, et de la communauté chrétienne en particulier.
«Il ne reste qu’environ 150 familles de fidèles» dans la paroisse, révèle Dako à Arab News. «Tous les autres ont fui vers la Jordanie, la Turquie ou l'Europe, et personne n'a pu rentrer, soit à cause de la crise économique, soit parce que les milices armées se sont emparées de leurs biens et leurs demeures».
À son arrivée vendredi, le pape François sera le premier pontife à visiter l'Irak.
À Bagdad, les préparatifs de son arrivée ont eu lieu au milieu de risques reliés à la pandémie de la Covid-19 et d’une sécurité fragilisée par des incidents. Malgré les défis de cette visite historique, le sort des chrétiens irakiens ces dernières années semble avoir alimenté la détermination du pape pour effectuer la visite.
Les chrétiens représentent désormais moins de 2% de la population du pays.
«Il est très difficile de voir les fidèles quitter le pays», a déclaré Dako. «Je prie seul à l'autel. Parfois, en disant la messe devant une nef presque vide, je me sens réellement comme un étranger dans ma propre paroisse».
Depuis que l'invasion américaine de 2003 a mis la sécurité du pays en chute libre, le nombre de chrétiens a diminué d'environ 90%. Cependant, les facteurs économiques et politiques sont autant à blâmer que la menace des groupes extrémistes tels que Daech.
L'annonce de la visite du pape a donné à cette communauté en détresse un brin d'espoir bien mérité. Dans le quartier de Karrada, au centre de Bagdad, des graffitis et des pancartes masquent tant bien que mal les énormes barricades en béton armé qui protègent la plupart des églises.
«Benvenuto a Francesco» (bienvenue, François) dit une affiche près de Saint-Joseph où le pape prononcera la messe samedi. Bien qu’enthousiasmé par cette visite Dako confie que sa vie quotidienne reste difficile.
Dans un pays dominé par la corruption, les emplois sont souvent attribués aux membres des groupes religieux les plus influents, sunnites et chiites. En plus de la corruption, l'état désastreux de l'économie à Bagdad signifie que les chrétiens ont du mal à trouver de bons emplois. Par conséquent, de plus en plus de chrétiens envisagent de quitter l'Irak. Les rares d’entre eux qui restent ont souvent du mal à payer leurs loyers et les frais de scolarité de leurs enfants.
«De nombreuses familles ont fui l'Irak à cause de l'État islamique (Daech)… mais de nos jours, elles tentent de quitter l'Irak à cause de cette mauvaise situation qui touchent tous les Irakiens en général», a affirmé Dako. «La réalité est que l'instabilité économique oblige les chrétiens à quitter l'Irak».
Lorsque la visite du pape a été annoncée en décembre, le moral est quelque peu remonté. Les évêques en Irak estiment que la visite donne de l'espoir aux Irakiens qui ont beaucoup souffert, et encouragerait peut-être même les chrétiens à revenir. Deux mois plus tard, le sentiment de désespoir demeure évident partout.
Au cours de ses 35 années en tant que prêtre à Bagdad, Dako a vu de nombreuses églises fermer leurs portes, ou être détruites. En décembre, il a décidé de visiter l’église Saint-Jacques dans la banlieue sud de Bagdad.
«J'avais déjà prononcé la messe là-bas en 1996», a-t-il signalée. «Maintenant, il n’y a même pas d’autel. De toute manière, il n'y a plus de famille chrétienne dans ce quartier».
L'église a été incendiée par Daech en 2015 et n'a pas été reconstruite, même si elle est située dans un quartier qui, avant l'invasion de 2003, abritait la plus grande communauté de chrétiens assyriens en Irak.
«Aujourd’hui, il n'y a qu’environ un demi-million de chrétiens en Irak, contre plus de 6 millions en 2003», explique William Warda, le président de l'organisation Hammurabi, qui fait valoir les droits des minorités religieuses dans le pays. «À Bagdad, ils étaient autrefois 750 000; aujourd'hui, ils ne sont plus que 75 000».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com