PARIS : Interview de M’jid El Guerrab, député Agir Ensemble de la 9e circonscription des Français établis hors de France et membre de la commission des affaires étrangères.
Peut-on considérer, si l’on fait exception de la séance consacrée aux amendements proposés par les Républicains sur le port du voile, que les débats autour du texte de loi «renforçant les principes de la République» se déroulent dans un climat apaisé?
Nous sortons d’un marathon qui a duré un mois avec l’examen du texte de loi par la commission spéciale, ainsi que dans l’hémicycle en séance publique, soit plus de cent soixante heures de débat, week-end compris. On s’est beaucoup focalisé sur la question du voile qui, rappelons-le, a été introduit par l’opposition, alors que, dans l’ensemble, les échanges, s’ils ont pu être vifs, sont restés cordiaux. La forte médiatisation du texte en amont de son examen et les nombreux commentaires, parfois contradictoires, sur le sujet, ont pu troubler le message porté.
Les députés sont chargés de débattre le texte de loi sur le respect des principes de la République; or on assiste à un énième débat sur le voile. Cette situation ne reflète-t-elle pas la difficulté qu’ont certains politiques à considérer que l’islam, deuxième religion de France, occupe dans la société française une place légitime?
Il faut rappeler que le projet porté par le président de la République lors de son discours aux Mureaux portait sur la volonté de protéger les Français de l’islamisme radical, sans stigmatiser le culte musulman. Mais il existe sûrement en France, et probablement un peu partout en Europe, une méconnaissance de l’islam, qui est trop souvent l’objet de fantasmes. Ce texte a aussi pour but de replacer la laïcité, valeur française encore trop souvent incomprise en Occident même, au centre du débat politique.
Néanmoins, l’affirmation des principes républicains ne peut se faire qu’avec l’assentiment de la population française, et il n’est pas concevable qu’un projet aussi fondamental puisse être mené en étant perçu comme hostile à la deuxième communauté de croyants en France. Nous avons ainsi proposé des amendements sur ce texte.
Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, affirme que ce projet de loi ne permet pas de lutter contre l’idéologie islamiste. Qu’en pensez-vous?
Marine Le Pen porte un projet mortifère pour la cohésion nationale française. Depuis 2012, les attaques terroristes ont causé en France la mort de deux cent soixante-dix personnes. Si ce chiffre peut paraître faible en comparaison avec d’autres pays, il est le plus élevé d’Europe. La société française demeure marquée par ces événements tragiques, mais elle est résiliente et courageuse, et je voudrais la saluer pour cela. Néanmoins, il en découle une demande légitime de protection.
Rappelons toutefois que les premières victimes du terrorisme sont les musulmans eux-mêmes, qui en payent un lourd tribut. Par ailleurs, la percée populiste et la banalisation de l’islamophobie constituent un terrain tout aussi fertile pour une autre forme de radicalité: l’extrême-droite. Protéger les Français de ces idéologies mortifères revient à protéger les musulmans de France.
Dans une société multiculturelle comme la nôtre, il est crucial de porter un projet commun qui puisse unir toutes les communautés, et le gouvernement doit en demeurer le garant. La vision du président n’a jamais été celle d’un pays qui se ferme aux musulmans.
L’Assemblée a voté le délit de séparatisme dans le but de pénaliser la pression communautariste. Cela est-il suffisant pour contrer les pressions qui sont parfois exercées sur les agents du service public, tous secteurs confondus?
Les pressions exercées sur les agents du service public représentent un problème qu’il convient de regarder en face, sans pour autant céder à un excès de zèle. Ces dispositions ont pour but de pénaliser la pression communautariste. Il s’agit de donner un signal fort afin de protéger les agents.
Les Français de culture musulmane peuvent se sentir offensés par un débat récurrent sur l’islam, alors que, dans de nombreux pays occidentaux, les musulmans vivent leur religion de façon plus paisible. Ce nouveau dispositif permettra-t-il enfin de dissiper l’amalgame entre l’islamisme et les musulmans ou les citoyens de culture musulmane de France?
C’est la raison pour laquelle le président de la République a souhaité l’écriture d’une charte des principes de l’islam de France. Ce texte dénonce l’instrumentalisation politique de l’islam, proscrit l’ingérence d’États étrangers dans le culte en France et réaffirme la compatibilité de la foi musulmane avec la République. La distinction entre les musulmans de France et les islamistes, qui ne représentent d’ailleurs qu’une infime minorité, est fondamentale. La méconnaissance du culte musulman demeure la principale difficulté en France et ailleurs en Occident.
Dans le même temps, le gouvernement annonce un plan de 12 milliards d’euros pour les banlieues. S’agit-il de moyens suffisants pour mettre en œuvre le programme relatif à l’égalité des chances?
Le projet de loi confortant les principes de la République constitue le point d’orgue d’une séquence régalienne. L’égalité des chances, un projet cher au président, va permettre un rééquilibrage vers la gauche.
Parmi les projets évoqués figurent la création de nouvelles places dans des classes préparatoires intégrées, accessibles sur des critères sociaux et territoriaux, une voie d’accès dédiée dans les concours de la haute fonction publique – ceux de l’ENA (École nationale d’administration), notamment – et le développement du tutorat et du dispositif «cordées de la réussite», qui visent à d’attirer davantage de candidats vers le service public. La diversité dans la fonction publique est l’une des composantes de l’agenda en faveur de l’égalité des chances.
La double culture peut être considérée par certains courants politiques comme un handicap pour vivre en harmonie et respecter les lois de la République. Cela ne traduit-il pas un problème social plus profond au sein de la société française?
En France, contrairement à d’autres pays, c’est l’État qui a constitué la nation, et non l’inverse. Dès le début de son existence, la France est le fruit d’un brassage de cultures que l’État a dû intégrer pour faire société. L’identité française est plurielle, il n’existe donc pas une identité française mais des identités françaises. Les Français sont fiers de leur culture et du projet universaliste que porte celle-ci.
Je pense que le principal point de tension se situe autour de la laïcité. Il s’agit d’un régime juridique fondé sur la liberté de culte; ni plus, ni moins. Les tenants d’une laïcité dirigée contre les musulmans contribuent à hystériser le débat au détriment de la cohésion nationale. Les musulmans n’ont aucune raison d’être offensés par un régime qui garantit la liberté de croire ou de ne pas croire. À condition de ne pas brandir cette valeur contre le culte musulman, comme le fait la droite et l’extrême-droite, qui ne rendent pas service au pays.
Les Français de culture musulmane ont pourtant contribué à libérer la France de l’Occupation et ils se sont également investis dans la reconstruction économique du pays. Est-ce que cela ne constitue pas une adhésion de leur part aux principes républicains, sans qu’ils aient pour autant à renier leur culture ni leur histoire?
Nous ne doutons pas un seul instant de l’adhésion des Français de culture musulmane à nos valeurs. En plus d’avoir participé aux deux guerres mondiales, à la Libération, nos compatriotes musulmans ont également contribué au redressement économique d’après-guerre, et nous devons leur en être reconnaissants. Être le fruit d’une double culture est une chance inouïe qu’il faut célébrer, car c’est aussi cela, la France: une multitude de cultures.