PARIS : La ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche Frédérique Vidal est mise sous pression jusqu'au sein de la majorité pour s'être trompée de « priorités » en diligentant une enquête sur « l'islamo-gauchisme » à l'université, quand l'exécutif peine déjà à atténuer les stigmates de la crise chez les étudiants.
Le timing a fait s'étrangler plus d'un. Après avoir épinglé dimanche soir sur CNews l' « islamo-gauchisme » qui, selon elle, « gangrène la société dans son ensemble et l'université n'est pas imperméable », Mme Vidal a enfoncé le clou mardi en annonçant avoir demandé au CNRS « un bilan de l'ensemble des recherches » qui se déroulent en France, afin de distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme. Une « étude scientifique » plutôt qu'une enquête, s'empresse-t-on de préciser au ministère.
Pourquoi cette sortie ? « Je n'en sais rien... », se gratte la tête un conseiller de l'exécutif, relevant que Mme Vidal fait « un peu lapin dans les phares » après cette sortie.
Le recadrage du sommet est parvenu en termes policés à l'issue du Conseil des ministres mercredi. D'abord, M. Macron a répété son « attachement absolu à l'indépendance des enseignants-chercheurs », selon le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal.
Puis, « la priorité pour le gouvernement, c'est évidemment la situation des étudiants dans la crise sanitaire, c'est évidemment la possibilité d'apporter un soutien financier aux étudiants en difficulté, c'est évidemment de permettre aux étudiants qui le souhaitent de pouvoir revenir progressivement en présentiel à l'université », a encore rappelé M. Attal, rejoignant plusieurs voix au sein de la majorité appelant Mme Vidal à se concentrer d'abord sur ces points.
« Quand elle est sur un plateau de télévision, elle devrait être obsédée par la vie des étudiants, pas sortir ce genre de choses », se désole un cadre de la majorité.
LE CNRS DÉNONCE
Le CNRS, à qui la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche Frédérique Vidal a confié une étude sur « l'islamo-gauchisme » à l'université, a accepté mercredi d'y participer mais en regrettant une « polémique emblématique d'une instrumentalisation de la science ».
« "L’islamogauchisme", slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique » a répondu dans un communiqué le CNRS, qui « condamne » notamment « les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales ».
Pour l'organisme public, « la polémique actuelle autour de l’"islamogauchisme", et l'exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science ».
« Il y a des voies pour avancer autrement, au fil de l'approfondissement des recherches, de l'explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche », fait valoir le CNRS.
« C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la Ministre », précise l'institution.
L'enjeu politique est énorme pour l'exécutif qui voit fleurir les images d'étudiants dans les files d'attente devant des banques alimentaires, et les témoignages de détresse psychologique chez les jeunes.
Ce hiatus a d'ailleurs été exploité par l'opposition, à l'image du sénateur communiste Pierre Ouzoulias qui, interpellant le gouvernement sur les aides économiques pour les jeunes, a proposé avec ironie à Mme Vidal de « demander au CNRS à lancer une enquête sur le sujet ».
« Arguties de café du commerce »
Sur le fond, la sortie de Mme Vidal a provoqué la « stupeur » de la Conférence des présidents d'université (CPU) dans un communiqué au vitriol vilipendant les "représentations caricaturales" et "arguties de café du commerce" du gouvernement.
« On va demander à nos chercheurs du CNRS de devenir des flics qui enquêtent sur leur propre université, c'est absurde, il s'agit d'un dérapage incompréhensible », abonde Michel Deneken, administrateur provisoire à l'université de Strasbourg, mettant cette initiative sur le compte d'une stratégie politique pour « rallier la droite avant les élections régionales et la présidentielle ».
Le sillon, qui avait déjà été emprunté en octobre par le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer, était en effet creusé depuis plusieurs mois par la droite, dont le député LR Julien Aubert, qui réclamait une mission parlementaire sur la question.
« Vous n'avez rien d'autre à faire que de lancer une police de la pensée ? », s'est insurgée mardi la députée LFI Bénédicte Taurine, son collègue François Ruffin réclamant la démission de la ministre.
La polémique relance en tout cas les critiques autour de Mme Vidal, universitaire reconnue spécialiste de la génétique moléculaire, mais accusée de manquer de poids et sens politiques.
L'adoption en novembre de la loi de programmation pour la recherche, son texte phare, a ainsi été polluée par des amendements controversés, notamment sur le « délit d'entrave » dans les facs.
« On lui a confié une loi historique, et le truc passe sous les radars », tempête encore un poids lourd de la majorité.
Mais beaucoup mettent en avant aussi la difficulté du poste, dans un contexte où le sanitaire et l'économique emportent tout.
« Elle a commis une erreur de communication », consent ainsi le député MoDem Philippe Berta, « mais ça ne remet pas en cause son activité. C'est une femme très courageuse ».