GENÈVE / PARIS: Coup double de la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, devenue lundi première femme et première Africaine à la tête de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), une institution quasi paralysée qui n'arrive plus à remplir sa mission.
A 66 ans, elle entre ainsi dans le cercle très restreint des femmes au pouvoir dans le monde. C'est un « moment historique », a résumé l'OMC, en précisant qu'elle prendrait ses fonctions en mars.
Son intronisation a été immédiatement saluée par d'autres femmes, toutes aussi puissantes.
Congratulations to my friend Ngozi Okonjo-Iweala on becoming the first female Director-General of the @wto.
— Christine Lagarde (@Lagarde) February 15, 2021
I’ve known Ngozi for many years. Her strong will and determination will drive her to tirelessly promote free trade to the benefit of people worldwide. pic.twitter.com/HSVf2kk1Qt
«Félicitations à mon amie Ngozi Okonjo-Iweala qui est devenue la première femme directrice générale de l'OMC. Je connais Ngozi depuis de nombreuses années. Sa forte volonté et sa détermination l'amèneront à promouvoir sans relâche le libre-échange au profit des populations du monde entier », a ainsi indiqué dans un tweet Christine Lagarde, première présidente de la BCE et ex-première patronne du FMI.
A Bruxelles, Ursula von der Leyen, présidente de l'exécutif européen, a salué ce « moment historique pour le monde entier », se disant aussi « si heureuse de voir une femme d'Afrique à la tête de l'OMC ».
Congratulations @NOIweala!
— Ursula von der Leyen (@vonderleyen) February 15, 2021
This is an historic moment for the entire world. I'm so glad to see a woman from Africa at the head of the @WTO.
Europe is fully behind you.
We support the reform of the WTO and will help you protect the rules-based multilateral trading system.
Mais la pandémie de la Covid-19, qui a ébranlé la foi dans la libéralisation des échanges mondiaux sur laquelle repose l'OMC, aura privé la nomination d'un nouveau DG de tout décorum, après des mois de discussions et de processus de sélection.
Dr Okonjo-Iweala, également appelée par certains Dr Ngozi, seule candidate encore en lice grâce à un large consensus et notamment le soutien de l'Union africaine mais aussi de l'Union européenne, et désormais « appuyée » par les Etats-Unis, n'a pas pu être physiquement présente dans l'élégant siège de l'OMC au bord du lac Léman. Elle s'est toutefois adressée aux délégués par visioconférence.
Elle a immédiatement appelé à une remise en marche de l'OMC, jugeant « essentiel » que l'institution soit « forte » pour surmonter les « ravages causées » par la pandémie de Covid-19 et relancer l'économie mondiale.
« Notre organisation est confrontée à de nombreux défis mais en travaillant ensemble, nous pouvons collectivement rendre l'OMC plus forte, plus agile et mieux adaptée aux réalités d'aujourd'hui », a-t-elle souligné.
Nombreux espèrent que sa nomination mette fin à des années de blocages de l'institution.
Fin octobre, l'administration Trump, qui en quatre ans a tout fait pour miner l'organisation, avait aussi bloqué à la dernière minute le consensus qui se dessinait autour de la Nigériane.
Deux fois ministre des Finances et cheffe de la diplomatie du Nigeria durant deux mois, Mme Okonjo-Iweala a commencé sa carrière à la Banque mondiale en 1982, où elle a travaillé pendant 25 ans. En 2012, elle échoue à devenir la présidente de cette institution financière, face à l'Américano-Coréen Jim Yong Kim.
Elle prend la tête d'une institution qui depuis sa création en 1995 a été dirigée par des hommes.
Si son parcours universitaire et professionnel impressionne, la Dr Ngozi a aussi ses détracteurs, qui lui reprochent notamment de ne pas avoir fait davantage pour endiguer la corruption quand elle était à la tête des finances du pays le plus peuplé du continent africain.
Débat sur les vaccins
« Plus que tout », le chef de l'OMC doit avoir « de l'audace, du courage », lance-t-elle à ceux qui estiment qu'elle n'a pas assez de compétences techniques dans un domaine régi par des règles byzantines.
Audace et courage seront indispensables pour sortir l'OMC de sa crise quasi existentielle.
« Elle prend les rênes en toute connaissance de cause, en sachant qu'elle a affaire à une machine qui est, si ce n'est bloquée… en proie à une forte inertie », souligne Elvire Fabry, responsable de la politique commerciale à l’Institut Jacques Delors.
« D'accord, ce n'est pas une spécialiste du commerce, indique-t-elle, mais « la dimension plus politique de la nouvelle directrice générale devrait être intéressante ».
La pandémie a mis à nu les fractures provoquées par la libéralisation du commerce mondial, de la trop grande dépendance à des chaînes de production éparpillée aux excès de la délocalisation industrielle ou la fragilité des échanges commerciaux.
A la mi-octobre, Ngozi Okonjo-Iweala avait indiqué vouloir se donner deux priorités pour montrer que l'OMC est indispensable.
Elle souhaite pouvoir présenter à la prochaine Conférence ministérielle de l'organisation un accord sur les subventions à la pêche - qui est pour l'heure au point mort - pour démontrer que l'OMC peut encore produire des avancées multilatérales. L'autre priorité consiste à rebâtir l'organe de règlement des différends - le tribunal de l'OMC - qui a été torpillé par l'administration Trump et est moribond.
Elle a récemment appelée l'OMC à se concentrer sur la pandémie alors que les membres de l'organisation sont divisés à propos d'une exemption des droits de propriété intellectuelle sur les traitements et vaccins anti-Covid pour les rendre plus accessibles.
L'OMC EN BREF
L'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), est la seule organisation internationale en charge des règles régissant le commerce entre les pays.
Elle sert d'enceinte pour la négociation d'accords commerciaux et arbitre les différends commerciaux entre ses membres.
Depuis sa création en 1995, l'OMC a été dirigée par six hommes : trois Européens, un Néo-zélandais, un Thaïlandais et un Brésilien, Roberto Azevedo, parti un an avant la fin de son mandat pour raisons familiales.
Le directeur général est désigné pour quatre ans par les États membres.
Installée à Genève, l'organisation compte 164 pays membres.
Le principe du consensus entre pays membres applique la règle du « un pays, une voix », ce qui donne un droit de veto à chaque nation, rendant extrêmement ardue la conclusion de tout accord.