BEYROUTH: C’est l’image du jour : le directeur de l’Hôpital Rafic Hariri, Firas Abiad, qui se fait vacciner devant la presse, le ministre de l’Intérieur et celui de la Santé. Des dizaines de journalistes venus voir les premières doses du vaccin Pfizer/BioNTech inoculés au personnel soignant du plus grand hôpital public de Beyrouth. Samedi soir, à l’aéroport de la ville, une boîte blanche sort d’un avion, elle contient 28 500 doses arrivées tout droit de Belgique. Le lendemain, les doses sont réparties dans plusieurs hôpitaux du pays accrédités “centres de vaccination” afin de débuter la campagne.
Alors que la campagne de vaccination a débuté au Liban, les professionnels de santé espèrent voir la tension redescendre dans les hôpitaux. Les libanais eux, peuvent se faire vacciner à partir d’aujourd’hui.
Arab News en français s'est rendu à l'hôpital universitaire Rafic Hariri pour suivre en immersion le quotidien du corps soignant. Un quotidien plus marqué par la mort et la résignation que par l'espoir. Ce qui n'empêche pas infirmiers et médecins de se battre chaque jour, au-delà de leurs forces pour sauver le plus de patients. Finalement, l'arrivée du vaccin ne change pas grand-chose à leur amer quotidien.

L’espoir suscité par cette campagne a gagné toute la société libanaise. Sur les réseaux sociaux, le 13 février était comparé au 24 décembre, puis, par le corps médical, vacciné en premier. “Je me sens chanceux d’être dans les premiers à être vacciné. Ce vaccin, c’est le début de la fin de cette pandémie, même s’il faut maintenir la distanciation sociale et le port du masque”, explique Hussein Khazem, infirmier de 25 ans qui s’est fait vacciner ce dimanche, vers 11 heures du matin, accompagné de sa mère. “Je ne ressens pour l’instant aucune mutation de mon ADN”, plaisante-t-il.
"Ici, la mort est partout"
Alicia Reijy, la soixantaine, est fraîchement vaccinée. “Je suis contente d’avoir reçu le vaccin, je n’ai pas peur, tout le monde doit se faire vacciner, et il faut bien une première personne !” explique cette salariée de l’hôpital, qui travaille dans la logistique du nouveau centre de vaccination. Le tout premier vacciné, lui, est un acteur à la retraite, Salah Tizani, arrivé fièrement du haut de ses 93 ans, le poing levé, aidé d’une canne.
Le Liban est actuellement dans sa première phase de déconfinement, après des mesures très strictes prises par les autorités à la mi-janvier. Seuls les magasins de première nécessité sont ouverts, et le pays enregistre toujours plus de 2 000 cas positifs et une cinquantaine de décès par jour en moyenne.
“J’ai l’aval des patients pour les mettre n’importe où, on oublie malheureusement l’intimité, la dignité. Là où il y a une source d’oxygène, il y a un patient”
“Nous espérons qu’avec ce vaccin, nous aurons un peu moins de patients dans nos unités”, explique la responsable de l’unité 2 de soins intensifs. L’hôpital Rafic Hariri compte 4 unités de soins devenues Covid-19, pour une quarantaine de places au total. Cependant, aujourd’hui c’est plus d'une centaine de patients qui sont à l’hôpital, intubés ou avec assistance respiratoire.
“J’ai l’aval des patients pour les mettre n’importe où, on oublie malheureusement l’intimité, la dignité. Là où il y a une source d’oxygène, il y a un patient”, explique l’un des responsables des urgences Covid-19 de l’hôpital. “Nous avons entre 60 et 100 personnes qui viennent par jour, nous leur faisons passer un examen médical, puis environ une vingtaine est hospitalisée, d’abord dans la salle des urgences, puis, dès qu’une place se libère dans les unités de soin intensifs, on les transfère”, ajoute-t-il.
Ces unités de soin sont composées de pièces fermées, où des patients, parfois conscients, parfois non, respirent difficilement, allongés sur leur lit. Les médecins et infirmiers, eux, sont sur le qui-vive, réagissant au moindre son des machines qui diffère de la norme. Il est près de midi, le cœur d’un homme de 70 ans lâche. Hussein Khazem revêt une protection supplémentaire et part aider ses collègues qui se relaient pour lui faire un massage cardiaque, accompagné d’injections d'adrénaline.
“Toutes les deux minutes, on change de personne”, explique Hussein. Au bout d’une dizaine de minutes, l’homme se réveille, son cœur repart. L’équipe est soulagée. Au même moment, à quelques mètres de là, une salle vide est nettoyée à la vapeur, technique de désinfection. “Un de nos patients est décédé ce matin, à 7 heures, nous libérons la salle”, explique la médecin en chef. Ici, la mort est partout. “Tous nos patients meurent, soupire Mariam, derrière son ordinateur où elle vérifie les niveaux de saturation d’oxygène des différents patients. C’est la déprime !” Ce jour-là, soixante-six personnes décéderont du Coronavirus. La plupart ont plus de 60 ans, mais des jeunes sont aussi présents à l’hôpital, dans un état critique.
Hussein Khazem revêt une protection supplémentaire et part aider ses collègues qui se relaient pour faire un massage cardiaque à un patient, accompagné d’injections d'adrénaline.
“Nous avons l’un de nos collègues qui est sous oxygène actuellement, raconte Ali Awarki, l’un des infirmiers urgentistes, il a 35 ans. Dieu merci, son état est stable”. Hussein lui, s’occupe d’une patiente de 35 ans également. “Elle était enceinte, on a dû la faire accoucher par césarienne, cela fait deux semaines qu’elle est là, elle se remet de ses infections”. La patiente la plus jeune a dix ans de moins, elle est dans une autre unité, intubée elle aussi, et respire avec difficulté.
L’unité Covid-19 de l’hôpital est accessible par une porte différente. Devant, des familles de patients attendent des nouvelles. Un homme sort alors en chaise roulante. “Mon héros !” hurle son ami, les larmes aux yeux, il est guéri. Puis, une voiture arrive en trombe en klaxonnant, une femme sort, aidée par son mari, elle a du mal à respirer. “Corona ?”, demande le gardien ; “Oui !”, répond son mari paniqué. Elle sera admise à l’hôpital pour passer des examens médicaux.