NANTERRE : La cheffe de file de l'extrême droite française Marine Le Pen a défendu mercredi sa «liberté d'expression et d'information» devant un tribunal correctionnel, qui la juge pour avoir diffusé des photos d'exactions de l'Etat islamique (EI) sur les réseaux sociaux en 2015.
Le parquet a requis 5 000 euros d'amende contre la présidente du Rassemblement national (RN).
Ce procès intervient à 15 mois de l'élection présidentielle en France, pour laquelle Marine Le Pen est candidate. Déjà finaliste face à Emmanuel Macron en 2017, elle figure en tête, au coude-à-coude avec ce dernier selon certains sondages.
Mme Le Pen est jugée devant le tribunal correctionnel de Nanterre, près de Paris, pour avoir diffusé des photos issues de la propagande de l'Etat islamique sur les réseaux sociaux le 16 décembre 2015.
En réponse au journaliste français Jean-Jacques Bourdin, qu'elle accusait d'avoir «fait un parallèle» entre l'EI et le Front national (renommé depuis Rassemblement national) au cours d'une émission, Marine Le Pen avait relayé trois photos d'exactions du groupe jihadiste en y ajoutant les mots: «Daech», c'est ça!.
Les photos montraient un soldat syrien écrasé vivant sous les chenilles d'un char, un pilote jordanien brûlé vif dans une cage et le corps décapité du journaliste américain James Foley, la tête posée sur le dos.
Ces publications, quelques semaines après les attentats jihadistes de Paris et Saint-Denis du 13 novembre 2015 (130 morts et des centaines de blessés), avaient immédiatement soulevé un tollé au sein de la gauche, alors au gouvernement, comme de la droite, et au-delà du monde politique.
«M. Bourdin a fait une comparaison entre le RN et Daesh en disant qu'il y a une "communauté d'esprit" entre le RN et Daech», a déclaré Marine Le Pen à la barre, dénonçant «une banalisation et une minorisation inadmissible des crimes contre l'humanité (...) qui sont le fait de ce gang d'assassins prénommé Daech».
M. Bourdin avait évoqué une «communauté d'esprit» entre le RN et l'EI, autour du «repli identitaire».
«Liberté d'expression et d'information »
«J'ai donc rappelé directement sur Twitter M. Bourdin à la raison par deux tweets», a-t-elle raconté, expliquant avoir laissé son community manager le choix des photos, mais en «assumer totalement la responsabilité».
L'eurodéputé français du RN Gilbert Collard, proche de Mme Le Pen, avait relayé le même jour la photo d'un homme gisant au sol, le crâne défoncé, avec ce commentaire: «Bourdin compare le FN à Daech: le poids des mots et le choc des bobos!»
Après trois ans d'instruction, les deux responsables politiques sont poursuivis ensemble sur la base d'un article du Code pénal français punissant la diffusion de messages violents susceptibles d'être vus par un mineur: une infraction passible de trois ans de prison et 75 000 euros d'amende.
Le parquet a également requis une amende de 5 000 euros contre Gilbert Collard.
«Ils avaient parfaitement le droit de diffuser ces images, le problème est de s'assurer, avant la diffusion, qu'aucun mineur n'est susceptible de voir ou de percevoir ces images», a expliqué le procureur Jean-Pascal Oualid dans ses réquisitions.
«Estimez-vous que ces photos portent atteinte à la dignité humaine ?», a demandé la présidente aux deux prévenus.
«Non», a répondu Gilbert Collard, par ailleurs avocat. «Si un abruti nie la Shoah, je suis parfaitement capable de lui sortir des photos de camps de concentration», a-t-il ajouté.
«Aviez-vous conscience qu'un public mineur était susceptible de voir ?» les tweets, a repris la présidente.
«Je n'ai véritablement pas pensé à ça. J'ai pensé à la liberté qui est la mienne d'expression et d'information», a répondu Marine Le Pen.
«Et vous n'aviez pas peur que ces photos aient un caractère prosélyte, incitatif ?», a renchéri la présidente.
«Pour moi, ces photos sont épouvantablement choquantes et par conséquent elles provoquent le dégoût, le rejet, et pas l'adhésion», s'est-elle encore défendue.
Avant d'entrer dans la salle d'audience, Marine Le Pen a dénoncé auprès de la presse un «procès politique» contre son mouvement. La candidate à la présidentielle de 2022 a aussi assuré qu'elle «republierait» ces images, si c'était à refaire.