BERLIN: l'Allemagne émerge comme principal avocat pour faire venir en Europe le vaccin russe anti-Covid, jusqu'à évoquer une production commune et de l'aide administrative, au moment où elle est critiquée avec l'UE pour sa gestion de la pandémie.
La publication de bons résultats dans la revue scientifique réputée The Lancet ouvre du coup un nouveau volet dans la relation complexe entre l'UE et la Russie: la coopération autour de Spoutnik V, au moment même où des sanctions européennes sont en parallèle à l'étude dans l'affaire Navalny.
«Au-delà de toutes les différences politiques qui sont actuellement importantes, nous pouvons néanmoins travailler ensemble dans le cadre d'une pandémie, dans un domaine humanitaire», résumait la chancelière Angela Merkel fin janvier, elle qui s'escrime depuis des années à maintenir envers et contre tout le fil du dialogue avec Vladimir Poutine, malgré l'annexion de la Crimée et même l'espionnage du Parlement allemand dont est accusé Moscou.
Laboratoire allemand
Son ministère allemand de la Santé a annoncé mercredi que la Russie avait d'ores et déjà contacté un laboratoire allemand, IDT Biologika, pour évoquer la production de Spoutnik V.
Dans ce but, l'institut russe Gamaleya, qui développe le produit, ainsi que le fonds russe RDIF «sont intéressés par une coopération pour une possible production et ont contacté IDT Biologika», basé dans l'Etat régional allemand de Saxe-Anhalt, a expliqué une porte-parole du ministère allemand, sans donner de détails sur ces «discussions confidentielles».
Le laboratoire IDT, spécialisé dans la production sur contrat de vaccins, avait mis début janvier en pause le développement d'un vaccin propre après des données moins bonnes qu'espérées sur la réponse immunitaire après une première étude.
Il compte 1 400 salariés pour un chiffre d'affaires en 2019 de 220 millions d'euros, selon ses propres données.
Angela Merkel avait déjà auparavant proposé que l'agence allemande des médicaments «soutienne la Russie» dans sa demande auprès de l'organisme européen compétent, l'EMA.
Et elle avait révélé mardi avoir «parlé précisément de ce point avec le président russe», affirmant que les vaccins russe et chinois étaient les «bienvenus» dès lors qu'ils seront autorisés en Europe.
Le vaccin Spoutnik V, initialement accueilli avec scepticisme par la communauté scientifique internationale, est efficace à 91,6% contre les formes symptomatiques du Covid-19, selon les résultats du Lancet validés par des experts indépendants.
Moscou pourrait désormais être dépassée par la demande.
Pour le moment, outre la Russie, le Kazakhstan, l'Inde, la Corée du Sud et le Brésil produisent le Spoutnik V. Le Kremlin vise désormais à produire «dans un avenir très proche» la vaccin dans d'autres pays étrangers, selon un porte-parole.
coopération 'critique'
Le ministre allemand de la Santé, Jens Spahn, a, lui, indiqué mercredi que l'Allemagne servait par ailleurs «d'intermédiaire» pour la demande russe d'étudier des options de production en Allemagne et en Europe.
Estimant une coopération «constructive et critique», il estime possible une homologation par l'EMA après des résultats «encourageants» des essais cliniques.
L'Allemagne se retrouve en conséquence à faire le grand écart politique dans ses relations avec Moscou: besoin du vaccin russe, soutien au projet controversé de gazoduc Nord Stream II en dépit des pressions américaines et de l'opposition française, et de l'autre tensions après l'emprisonnement de l'opposant Alexeï Navalny.
Sur ce dernier dossier, Berlin a indiqué que de nouvelles sanctions ne sont «pas exclues». Plusieurs responsables politiquent allemands affirment dans le même temps qu'elles ne serviraient à rien.
Berlin réclame la libération de M. Navalny et condamne la répression des manifestations mais considère Nord Stream comme «un dossier économique» dans lequel le gouvernement «a toujours refusé de s'immiscer», a réitéré lundi un porte-parole de Mme Merkel.
Le projet de gazoduc entre la Russie et l'Allemagne est considéré par beaucoup comme stratégique, même si cette position devient plus en plus embarrassante pour Berlin, à mesure que se raidit le régime russe.