MOSCOU: Un tribunal moscovite a ordonné mardi l'emprisonnement pour près de trois ans de l'opposant Alexeï Navalny, entraînant la condamnation unanime de l'Occident, sur fond de répression d'un mouvement de contestation.
Etats-Unis, UE, Allemagne, France, Royaume-Uni... : tous ont appelé à sa « libération immédiate ».
Le ministère russe des Affaires étrangères a dénoncé des réactions occidentales « déconnectées de la réalité » et une ingérence « dans les affaires d'un Etat souverain ».
La juge Natalia Repnikova avait estimé mardi soir que celui qui s'est imposé en dix ans comme le principal détracteur de Vladimir Poutine avait violé son contrôle judiciaire et devait en conséquence purger une peine de trois ans et demi de prison avec sursis datant de 2014, moins une dizaine de mois passés cette année-là assigné à résidence.
Selon son avocate, Olga Mikhaïlova, son client devrait donc effectuer "environ" deux ans et huit mois de prison. Mais il fera appel.
Près de 700 personnes ont été arrêtées dans la journée lors de diverses actions pro-Navalny, l'essentiel dans la soirée à Moscou et Saint-Pétersbourg, selon l'ONG spécialisée OVD-Info.
Des médias russes ont signalé des interpellations de protestataires et de journalistes frappés violemment à coups de matraque.
Il s'agit de la première sentence longue pour M. Navalny, qui s'est spécialisé dans les enquêtes sur la corruption des élites et accuse le président russe d'avoir ordonné son empoisonnement en août.
Dès l’annonce de cette peine, son organisation, le Fonds de lutte contre la corruption, a appelé à une manifestation immédiate au pied du Kremlin.
Une foule de policiers casqués et des fourgons cellulaires ont été rapidement déployés sur les lieux, selon des journalistes qui ont été témoins d'interpellations.
« Poutine voleur! », ont scandé plusieurs centaines de manifestants en centre-ville.
« Il n'y a pas de justice dans ce pays », a réagi Oksana, 36 ans.
LES ÉTATS CONDAMNENT L’EMPRISONNEMENT DE L’OPPOSANT RUSSE NAVALNY
Emmanuel Macron a jugé mardi « inacceptable » la condamnation de l'opposant russe Alexei Navalny à près de trois ans d'emprisonnement et a appelé à sa « libération immédiate ».
« La condamnation d'Alexeï Navalny est inacceptable. Un désaccord politique n'est jamais un crime. Nous appelons à sa libération immédiate. Le respect des droits humains comme celui de la liberté démocratique ne sont pas négociables », a réagi le président dans un tweet.
Le Royaume-Uni a appelé mardi à la »libération immédiate et sans condition » de l'opposant russe Alexei Navalny, dénonçant la décision »perverse » de la justice russe de l'emprisonner pour plus de deux ans.
« Le Royaume-Uni appelle à la libération immédiate et sans conditions d'Alexeï Navalny et de tous les manifestants pacifiques et journalistes arrêtés ces deux dernières semaines », a déclaré le chef de la diplomatie britannique Dominic Raab dans un communiqué, estimant que la décision »perverse » de la justice russe montre que le pays ne remplit pas les « engagements les plus élémentaires attendus de la part de tout membre responsable de la communauté internationale ».
Les Etats-Unis ont exprimé mardi leur « profonde préoccupation » après la condamnation à plus de deux ans de prison de l'opposant russe Alexeï Navalny, appellant la Russie à le libérer »immédiatement et sans conditions ».
« Tout en travaillant avec la Russie pour défendre les intérêts des Etats-Unis, nous allons nous coordonner étroitement avec nos alliés et partenaires afin que la Russie rende des comptes pour n'avoir pas respecté les droits de ses citoyens », a déclaré le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken dans un communiqué.
« Comme tout citoyen russe, M. Navalny doit jouir des droits garantis par la Constitution russe », a-t-il dit.
« Nous réitérons notre appel au gouvernement russe afin qu'il libère immédiatement et sans conditions M. Navalny, ainsi que les centaines d'autres citoyens russes injustement arrêtés ces dernières semaines pour avoir simplement exercé leurs droits, notamment le droit à la liberté d'expression et de réunion pacifique », a-t-il ajouté.
Le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas a demandé mardi la libération immédiate d'Alexei Navalny, qualifiant la peine de prison infligée à l'opposant au Kremlin de « coup sévère » porté à l'Etat de droit en Russie.
« Le verdict d'aujourd'hui contre Alexeï Navalny est un coup sevère contre les libertés fondamentales et l'Etat de droit en Russie », a déclaré M. Maas dans un tweet. « Navalny doit être libéré immédiatement ».
Le chef de la diplomatie de l'UE a réclamé la « libération immédiate » de Navalny.
L'organisation de l'opposant russe Navalny a appellé à une manifestation immédiate à Moscou.
Empoisonneur de slips
« On en emprisonne un pour faire peur à des millions » de gens, a proclamé l'opposant, incarcéré depuis le 17 janvier.
Il a aussi dénoncé les milliers d'arrestations lors de manifestations de soutien ces deux derniers week-ends, les rassemblements d'opposition les plus importants depuis des années.
« Vous ne pourrez pas emprisonner tout le pays! », a-t-il martelé.
Alexeï Navalny a aussi répété que M. Poutine était celui qui avait ordonné au FSB, les services de sécurité, de le tuer en l'empoisonnant en août à l'aide d'un agent neurotoxique.
Il « entrera dans l'histoire comme l'Empoisonneur de slips », a-t-il lâché.
En décembre, M. Navalny avait affirmé dans une vidéo avoir piégé au téléphone un agent du FSB qui révélait que le poison avait été appliqué sur un de ses sous-vêtements dans son hôtel en Sibérie.
Les autorités ont rejeté toutes ces accusations. Des laboratoires européens ont eux confirmé l'usage d'un poison de type Novitchok, substance développée à l'époque soviétique à des fins militaires.
L'affaire examinée mardi concernait une plainte des services pénitentiaires qui accusaient M. Navalny de ne pas avoir respecté son contrôle judiciaire dans le cadre de sa condamnation avec sursis.
M. Navalny a dit avoir informé les autorités de sa convalescence en Allemagne. Il a été arrêté dès son retour en Russie mi-janvier.
Il avait été condamné en 2014 pour des détournements dans la filiale russe du groupe français Yves Rocher, via une entreprise de transport qu'il détenait avec son frère. La Cour européenne des droits de l'Homme avait dénoncé ce jugement.
La tentative d'assassinat puis son interpellation ont déclenché une volée de critiques occidentales et le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, est attendu vendredi à Moscou où il a demandé à voir l'opposant.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a estimé mardi que ce serait « une bêtise » de lier les relations entre UE-Russie au sort de M. Navalny.
Plus de 300 personnes demandant sa libération ont en outre été arrêtées mardi dans la journée, selon l'ONG spécialisée OVD-Info.
Affaires en pagaille
M. Navalny est la cible de multiples procédures. Vendredi, il comparaîtra pour « diffamation » envers un ancien combattant. Il est aussi accusé d'escroquerie pour avoir, selon les autorités, détourné des dons à son organisation.
Nombre de ses alliés et collaborateurs ont eux été assignés à résidence, incarcérés ou poursuivis.
L'opposant a néanmoins réussi à mobiliser des dizaines de milliers de partisans les 23 et 31 janvier dans une centaine de villes russes.
Cette contestation d'une ampleur inédite depuis des années intervient à l'approche de législatives à l'automne et sur fond d'impopularité du parti du pouvoir.
Elle est aussi alimentées par la diffusion d'une enquête de M. Navalny accusant Vladimir Poutine d'être le bénéficiaire d'un « palais » monumental, vue plus de 100 millions de fois sur YouTube.